Allergologie
L’immunothérapie allergénique, efficace contre les piqûres d’hyménoptères potentiellement fatales
Chez l’adulte, les piqûres d’hyménoptères sont la cause la plus fréquente de réactions allergiques graves dans le monde. Comment interpréter les symptômes après une piqûre, et quels examens et traitements (préventifs ou curatifs) sont-ils indiqués ? Eléments de réponse par le Dr Xavier van der Brempt, pneumo-allergologue à l'Allergopôle de la Clinique Saint-Luc de Bouge et responsable de la section hyménoptères du Réseau d'allergo-vigilance français et du groupe de travail insectes piqueurs de la Société française d'allergologie.
En général, une piqûre d’hyménoptère ne provoque que des symptômes locaux bénins (douleur, rougeur, gonflement et démangeaisons), avec un diamètre n’excédant pas 2 à 3 cm. Après une première piqûre, environ 30% des personnes développent des IgE spécifiques. Il peut s’agir d’une simple sensibilisation qui s’éteindra au bout de quelques années, mais il existe également un risque de déclenchement de symptômes allergiques lors d’une nouvelle exposition.
À l’occasion d’une nouvelle piqûre, la réaction peut n’être que cutanée, locale et bénigne, même si elle est parfois étendue (LLR - large local réaction, réaction locale étendue) : il s'agit alors de réactions pouvant durer jusqu’à 24 heures, atteindre un diamètre de plus de 10 cm et toucher plusieurs articulations. La fréquence de ces réactions locales étendues varie selon les études, de 5 à 25 % de la population [1]. Mais le venin d’hyménoptère peut aussi provoquer une réaction systémique grave (SSR - severe systemic reaction). Il est d’ailleurs le principal responsable de réactions anaphylactiques chez l’adulte. Quant aux décès causés par des piqûres d'hyménoptères en Europe, la prévalence va de 0.1 à 0.7 décès par million d'habitants et par an selon les pays, ce qui en Belgique correspond à quatre à cinq décès par an, et sans doute de l'ordre de 200 décès par an en Europe [2].
Quel risque de réaction sévère ?
La prévalence des réactions allergiques au venin d’hyménoptère reste relativement stable au fil des ans, mais elle dépend fortement de la météo. Le climat globalement plus chaud, avec des printemps plus précoces et des automnes prolongés, augmente le risque de piqûre.
« Les premières piqûres de l’année sont souvent provoquées par des abeilles qui commencent à sortir à partir d’une température de 15°C, soit à une période où il n’y a généralement pas de guêpes en circulation. Cette année, par contre, les guêpes sont arrivées dès le mois de juin car il a rapidement fait très doux (voire chaud) et humide, ce qui favorise leur nidification. En fin de saison, les abeilles peuvent rester encore assez longtemps en circulation, mais elles sont alors peu agressives tandis que les guêpes, qui apprécient notamment les fruits très mûrs – et les pique-niques... – vont nous importuner parfois jusqu’après la fin octobre. »
Très variable, la réaction d’une personne est imprévisible, dépendant de la localisation et de la profondeur de la piqûre, de la quantité de venin injecté et de facteurs comme la vasodilatation (effort, alcool, certains médicaments). « Si une personne a déjà fait une réaction sévère, son risque de future réaction sévère est élevé mais – et c’est relativement rassurant – le risque qu’elle soit plus sévère n’est que d’environ 50%. »
Les premiers soins
En général, la réaction cutanée locale ne nécessite aucun traitement. En cas de réaction étendue, on peut appliquer de la glace, voire une crème à la cortisone, donner un antihistaminique et surélever le membre qui serait touché. Il faut éviter autant que possible de donner des corticoïdes oraux dans cette indication.
« Lorsqu’une personne est piquée au niveau de la bouche, de la gorge ou de la langue, le risque de gonflement – et d’obstruction des voies respiratoires - peut être important, même lorsqu’elle n’est pas allergique », explique l’allergologue. « Dans ce cas, il faut toujours se rendre aux urgences, et le seul traitement efficace est l’administration d’adrénaline. Rappelons ici le danger très important que font courir les boissons comme les bières ou les sodas lorsque leurs contenants sont plus ou moins opaques et masquent l’éventuelle présence de l’insecte. Il faut donc aussi se méfier des gourdes et même des bouteilles de vin, prendre pour règle de boire dans un verre transparent et... ne pas se laisser distraire au moment de porter son verre à la bouche. »
« Tant que les symptômes restent localisés au site de la piqûre, même si c’est étendu et entreprend une ou deux articulations (exemple : une piqûre au doigt provoquant une douleur remontant jusqu’à l’épaule), cela reste une réaction locale, qui ne met pas la vie en danger. En revanche, en cas de réaction à distance, il faut penser à une possible réaction allergique sévère (exemple : une piqûre au doigt avec gonflement du visage, urticaire généralisée, des difficultés respiratoires, des vomissements ou un œdème laryngé). Les réactions systémiques sont toujours des urgences médicales, elles peuvent aller jusqu’au choc anaphylactique. La pression artérielle peut chuter fortement et s’accompagner de perte de connaissance, d’incontinence et même, dans de rares cas, de contractions utérines sévères. »
« Dès que deux organes différents sont impliqués et que la réaction n’est plus seulement cutanée, il s’agit d’une anaphylaxie, et un bilan est donc nécessaire. L’allergologue examinera alors s’il y a indication d’un auto-injecteur IM d’adrénaline et/ou d’une immunothérapie, et il recherchera la présence de certains facteurs de risque comme une augmentation de la tryptase (mastocytose systémique ou α-tryptasémie héréditaire). Le taux de tryptase augmente fortement dans le décours immédiat de l’anaphylaxie, pour retrouver son niveau basal dans les 24 heures. Pour démontrer la présence d’une anaphylaxie, il est très important que les intervenants de première ligne (urgentistes ou médecins traitants) dosent la tryptase lors de la crise, idéalement dans les quatre heures de la piqûre. »
Le premier soignant doit mesurer les paramètres vitaux (pression artérielle, pouls, saturation en oxygène) afin de détecter immédiatement une réaction grave. « Il ne faut en tout cas pas hésiter à injecter de l’adrénaline même en cas de doute : il n'y a aucune contre-indication absolue à l'administration d'adrénaline par stylo d’auto-injection, et le risque lié au fait de ne pas l’administrer est plus grand que celui de l’administrer. »
En deuxième ligne
Dans le suivi des patients ayant présenté une réaction allergique sévère, on mesure notamment le taux de tryptase basal et, au besoin, on effectue des analyses génétiques. Les IgE spécifiques sont également dosées afin de traiter avec le venin approprié : anciennement appelée désensibilisation alors qu’il s’agit en fait d’une hyposensibilisation, l’immunothérapie allergénique (ITA) est le seul traitement protecteur contre une nouvelle réaction sévère. Elle se pratique par injections sous-cutanées de venin de guêpe ou d’abeille à doses progressivement croissantes, permettant au patient de développer des anticorps protecteurs et donc une tolérance.
Dr Xavier van der Brempt: « L’immunothérapie allergénique au venin de guêpe ou d’abeille est très efficace et abordable. »
« Cette immunothérapie est très efficace, avec un taux de succès supérieur à 90 % pour le venin de guêpe et à 80 % pour le venin d’abeille, tout en restant abordable grâce à un remboursement par l’Inami. »
En traitement d'entretien, les injections se font à intervalles réguliers (généralement toutes les quatre, six puis huit semaines selon l’évolution) et doivent être suivies par une demi-heure de surveillance. Les produits actuellement disponibles permettent de réaliser cette ITA au cabinet de médecine générale, après avoir reçu les instructions du spécialiste.
Le patient doit-il conserver de l’adrénaline auto-injectable alors qu’il suit une ITA ? « La question reste débattue mais, dans la majorité des cas, ce n’est pas indispensable. Il en va différemment en cas de taux de tryptase basal restant élevé, ce qui signifie une protection limitée à environ 75%. »
En ce qui concerne l’abeille, l’immunothérapie doit normalement être poursuivie pendant cinq ans, et elle peut être adaptée dans certains cas particuliers comme les apiculteurs en activité (risque constant de piqûre). Quant à la guêpe, cinq ans suffisent, sauf en cas de taux de tryptase basal restant élevé.
QUELQUES PRÉCISIONS SUR LES HYMÉNOPTÈRES
À l’exception de quelques cas solitaires, les abeilles sont généralement des insectes dits “sociaux”, vivant en colonies gérées par les humains. Par contre, la situation est plus partagée pour les guêpes: les guêpes “sociales” s’organisent en nids de taille variable, mais il existe aussi beaucoup d'espèces de guêpes solitaires, qui ne font pas de nid. Ces dernières sont cependant plus fragiles, l’absence de nid les exposant plus facilement à la chute des températures en fin de saison. À noter que si le rôle des abeilles dans la pollinisation est majeur, les guêpes jouent également un rôle dans ce domaine, bien que plus limité ; cependant elles constituent un important régulateur des populations d'insectes nuisibles, dont elles se nourrissent et nourrissent leurs larves.
Le bourdon est peu agressif, avec un dard partiellement masqué par les poils, ce qui rend sa piqûre relativement superficielle et peu douloureuse. Son venin ressemble fortement à celui de l’abeille. En pratique, une ITA plus spécifique au venin de bourdon ne concerne que certains travailleurs en horticulture (serres de culture de tomates, où des bourdons sont utilisés pour la pollinisation).
Quant au frelon européen, il s’est vu adjoindre il y a quelques années un cousin asiatique, particulièrement actif cette année jusqu’au sud de la Belgique. Il n’est généralement pas agressif, à moins d’approcher son nid. « Une piqûre de frelon lorsqu’il fait sombre signe pour le frelon européen car il est le seul à voler la nuit. » Dans certaines régions d'Espagne, les anaphylaxies aux frelons asiatiques, dont le venin est très proche de celui de la guêpe, sont devenues plus fréquentes que celles aux guêpes. Et elles peuvent être très sévères, notamment parce que la quantité de venin injectée est au moins deux à quatre fois plus importante.
Références
1. Dzviga C, Sullerot I. Épidémiologie de l’allergie aux venins d’hyménoptères. Rev Fr Allergol 2022;62:32-37.
2. Feás X, Vidal C, Remesar S. What We Know about Sting-Related Deaths? Human Fatalities Caused by Hornet, Wasp and Bee Stings in Europe (1994-2016). Biology (Basel) 2022;11:282.
lien : www.insect-allergie.be