Le journal du médecin

Près de 6.000 prestataires de soins en colère réunis en quelques jours sur Facebook

« Healthcare is in danger », c’est le leitmotiv des 5.800 membres du groupe Facebook « Union belge des prestataires de soins/Belgische unie van gezondheidswerkers » créé il y a quelques jours contre la réforme des soins de santé du ministre Frank Vandenbroucke. Objectif : « tous ensemble » et ce, tous prestataires confondus, pas seulement médecins.

LogoCréé il y a moins de deux semaines à l’initiative d’un membre du corps médical, le groupe Facebook « Union belge des prestataires de soins/Belgische unie van gezondheidswerkers » a réussi à rassembler plusieurs milliers de prestataires de soins, tous vent debout contre le projet de réforme du ministre de la Santé. L’un des administrateurs du groupe a accepté d’expliquer au journal du Médecin, sous couvert d'anonymat, la genèse et la démarche de ce groupe, qui prépare des actions concrètes pour les prochains jours.

Le journal du Médecin : Quelle est la genèse de ce groupe Facebook ?

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Dr V. : Dans la foulée de la médiatisation du projet de loi de Vandenbroucke, il y a une dizaine de jours, une consœur a créé un groupe Facebook tout à fait classique et privé, pour ses collègues principalement. À son plus grand étonnement, il s’est produit une explosion de demandes à rejoindre le groupe. Un effet de masse : en quelques jours, nous étions à plus de 5.000 « amis » Facebook. Pourtant, au départ, c'était un groupe privé destiné aux prestataires de soins - de manière générale, donc pas qu’aux seuls médecins (pour pouvoir rejoindre le groupe, il y a quelques petites questions à compléter, NdlR).

Ce samedi matin, vous étiez à 5.800 membres, ça progresse encore avec l’annonce de la grève…

Oui, tout à fait, et ce qui est assez étonnant, c'est que les collègues néerlandophones commencent à nous rejoindre aussi. Je sais qu’ils débattent aussi beaucoup de leur côté, mais davantage sur LinkedIn que sur Facebook.

"Nous découvrons le marasme dans lequel les autres prestataires se trouvent, il n’y a pas que les médecins"

Le groupe est ouvert à tous les prestataires de soins, comme son nom l’indique, pourquoi pas aux médecins uniquement ?

Tout simplement parce qu'il y a un manque clair en Belgique - et sans doute dans d'autres pays aussi. Chaque prestataire de soins, qu'il soit kiné, logopède, médecin ou infirmier, travaille seul dans son coin. Il y a des syndicats par profession, mais pas pour tout le monde. Or, avec ce qu’il se passe, un ras-le-bol généralisé est en train d'arriver. Les personnes qui ont lancé le groupe se sont dit qu'il fallait réunir l'ensemble des prestataires de soins en Belgique, pas que les médecins. Et ça fonctionne ! On a un échange vraiment très intéressant, au sein de Facebook, entre kinés, médecins, infirmières, logopèdes. Nous découvrons aussi le marasme dans lequel les autres prestataires se trouvent, il n’y a pas que nous. Et c'est là tout l'intérêt de ce groupe : une prise de conscience, parmi les prestataires de soins, qu'il faut bouger, maintenant. Et donc une solidarité est en train de s'installer. C'est un petit peu le « tous ensemble ». Et je pense que nous serons plus forts comme ça.

Pas mal d'étudiants vous rejoignent également ?

Avec ce qui est en train de se préparer, c’est panique à bord pour tout le monde, que ce soit parmi les médecins en pratique, les jeunes médecins qui vont débuter leur carrière ou les étudiants en médecine qui s’interrogent. Parce que travailler dans une médecine d'État comme en Angleterre, ce n'est clairement pas productif pour nos soins de santé. C'est à grand risque, donc tout le monde s'inquiète. Ceux qui s'inquiètent peut-être le moins, ce sont les patients. Et c'est aussi le but de ce groupe Facebook : informer tous les praticiens de soins pour qu’ils reportent les informations vers leurs patients, et pour conscientiser toute la population du risque à venir avec ce nouveau projet de loi.

Avez-vous déjà connu pareille colère en tant que médecin ?

Il y a eu des mouvements de colère, on n'est pas toujours d'accord. Je pratique depuis le milieu des années 1990, il y a eu des grognements mais finalement, il y a toujours une accommodation possible. Or ici, ça paraît tout à fait impossible de trouver des compromis raisonnables ! Donc non, on n'a jamais connu une grogne pareille. L’autre élément, comme déjà dit, c'est qu'on commence à voir que les autres prestataires de soins, et plus seulement les médecins, sont en train de se révolter. D'où l'intérêt de créer une cohésion.

Vous pensez qu'il y a encore des médecins qui ne sont pas assez au courant de ce qui se passe et/ou ne s'en inquiètent pas assez ?

Oui, parce que les médecins, ni les autres praticiens, ne s'informent pas toujours non plus. Ce procès de loi a maintenant deux bonnes semaines, mais on voit que ça percole beaucoup partout. J’ai lu ce (samedi) matin que dans le Limbourg, 800 médecins traitants sont prêts à faire grève le 7 juillet. Il y a vraiment un effet boule de neige.

Vous ne vous attendiez évidemment pas à tel succès…

Absolument pas, et ce n'était pas le but. Les deux-trois premiers jours, on était une petite centaine, puis la courbe est devenue exponentielle. Et il y a de tout: des médecins généralistes, des médecins spécialistes, conventionnés ou non conventionnés. Beaucoup de conventionnés critiquent aussi le système car ils savent très bien qu'on va arriver dans un goulot, que les délais d'attente vont augmenter… Il y a également beaucoup de kinés, de dentistes qui sont aussi concernés, de logopèdes, d’infirmiers, d’orthodontistes. C’est vraiment un panel de tous les prestataires de soins.

L'Unessa annonce jusqu'à 1.200 suppressions potentielles de postes infirmiers à cause de cette réforme des suites du plafonnement des suppléments d’honoraires…

La question des suppléments n’est qu’un des points parmi beaucoup d'autres, malheureusement, dans la population, c'est ça qui est retenu… « Les médecins sont très riches et on touche à leurs privilèges… » Mais ce n'est pas ça du tout ! Le fait de supprimer les conventionnés partiels, le fait qu'il n'y a pas de concertation possible avec notre ministre et que tout se décide de manière unilatérale, touche directement les patients ! Le fait de pouvoir avoir accès aux dossiers médicaux, avec des informations médicales, ce n'est pas non plus possible ! Et il y a un risque de suppression d’infirmières, à terme, oui, parce que risque de faillite des hôpitaux et parce qu'il y aura moins de praticiens. Personnellement, je suis chirurgien, je suis déconventionné, je travaille dans un cabinet médical avec une secrétaire, je dois payer les lois sociales, l'infrastructure, le nouveau matériel… Au tarif mutuelles +25 %, je mets la clé sous le paillasson, c'est aussi simple que ça ! Je travaillerai trois semaines et demie par mois juste pour payer les frais fixes, et puis quatre-cinq jours pour moi

"On s'interroge pour savoir si on irait jusqu'à créer une association officielle, avec tous les prestataires, pour défendre la santé de manière générale en Belgique"

Au vu de la situation actuelle, les deux grands syndicats médicaux suffisent-ils ?

Ils font ce qu'ils peuvent, ils se battent. Notre groupe Facebook n'est clairement pas un syndicat, on n'est pas là pour les remplacer, chacun son travail, les syndicats médicaux défendent les médecins. Ce qui manque dans notre société actuelle, c'est le « tous ensemble ». Or, quand on voit l'élan dans notre groupe Facebook, on se pose la question, entre administrateurs, de savoir si on n'irait pas - c'est trop tard maintenant malheureusement - jusqu'à créer une association représentative, officielle, avec tous les prestataires, pour défendre la santé de manière générale en Belgique, avec des représentants de tous les secteurs de santé.

Ce pourrait être la suite logique, dans la ‘vraie vie’, de cette association virtuelle née sur Facebook ?

Oui, on n'a aucun poids juridique ici, évidemment. On est juste là, en toute honnêteté, à frapper avec des bâtons sur des casseroles en dessous de la fenêtre de notre ministre. C'est tout ce qu'on peut faire. Mais près de 6.000 membres, ça représente quand même quelque chose. Les dentistes et les kinés sont prêts aussi à suivre la grève.

drapeauD’autres actions concrètes sont-elles prévues ? Dans les posts du groupe Facebook, de nombreux membres disent écrire à Georges-Louis Bouchez pour qu’il s’oppose à la réforme du ministre de la Santé…

Oui oui, et son cabinet nous répond, j’ai moi-même envoyé un email et reçu une réponse nous signalant qu'ils sont très préoccupés de la situation et feront tout pour défendre la médecine libérale en Belgique - puisque finalement, le but de ce projet à terme, est d'avoir une médecine d'État et de supprimer la médecine libérale. Avec toutes les conséquences, comme en Angleterre. Je peux vous assurer que s’il est déjà difficile, maintenant, d’avoir un rendez-vous en chirurgie, à partir de 2028, vous risquez d’attendre cinq ans pour avoir un prothèse. S'il n'y a plus de médecine libérale, ça ne sera tout simplement plus gérable. Et donc oui, les différents parlementaires que nous avons contactés nous répondent.

Vous inondez aussi la boîte e-mails du ministre de la Santé ?

(Sourire) À partir du 1er septembre, on est obligé d'avoir des attestations de soins électroniques. Donc on reçoit régulièrement des rappels de bien faire ces attestations de soins. Et donc on répond de manière massive au ministère, en demandant les critères, quels sont les soucis… Ce sont de petites actions chacun dans son coin, mais ça fonctionne. On a aussi changé, chacun, notre photo de profil par la même image, et on prépare des lettres types et affiches à distribuer et mettre dans nos cabinets pour sensibiliser les patients - c'est évidemment très important – et aussi donner des consignes pour le jour de la grève (obligation de continuité des soins, NdlR). Ça circule beaucoup, les confrères et consœurs peuvent rejoindre le groupe Facebook pour qu’on leur partage le matériel, s’ils le désirent. C'est un peu le rôle de ce groupe, de ramener à la base, c’est-à-dire nous tous, de centraliser toutes les informations, les opinions - dont celles de collègues qui paraissent dans Le journal du médecin. Mais, une fois de plus, on ne remplace pas les syndicats, on veut juste fédérer et rassembler tous les prestataires de soins, et pas uniquement les médecins.

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Écrit par Cécile Vrayenne
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