Le journal du médecin

PCSK9, une protéine clé dans la carte des métastases pancréatiques ?

cellule cancéreuse
© Getty Images

Mai 2025 - C’est la piste prometteuse de l’étude du chercheur belge Gilles Rademaker, dont les résultats viennent de paraître dans Nature. La protéine PCSK9 pourrait servir de facteur prédictif de la colonisation du foie, par rapport à celle des poumons, lors de la dissémination stratégique des métastases dans l'adénocarcinome canalaire pancréatique (PDAC), tumeur du pancréas la plus fréquente et la plus agressive.

C’est l’un des diagnostics oncologiques qui fait le plus froid dans le dos, vu son mauvais pronostic et la brève survie à l’heure actuelle - à peine 3 % à cinq ans quand il est découvert au stade IV, selon les dernières données du Registre du cancer. Or, deux tiers des diagnostics tombent aux stades III et IV. Les chimiothérapies donnent peu de résultats probants, le pancréas artificiel n’existe pas encore, la recherche fondamentale est donc, plus que jamais, essentielle pour découvrir de nouvelles pistes thérapeutiques.

Chiffres clés

- Près de 2.200 nouveaux diagnostics de cancer pancréatique ont été posés en 2022 en Belgique.
- Ce cancer - 6e le plus fréquent chez la femme et 9e chez l’homme - tue, en moyenne, cinq Belges chaque jour.
- Son incidence (un peu plus élevée en Wallonie) est en augmentation constante (+2,7 %/an chez l’homme, +3,4 % chez la femme).
- Si l’âge moyen du diagnostic est de 72 ans, il tend à rajeunir.

Comprendre le tropisme métastatique

De plus en plus de chercheurs, de par le monde, se penchent sur cette tumeur qui frappe principalement les pays industrialisés, et dont l’étiologie semble surtout environnementale (les formes génétiques représentent moins de 10 %). C’est le cas de Gilles Rademaker, un Liégeois qui rentre de Californie après avoir publié dans Nature (lire ci-dessous). Le chercheur planche sur l'hétérogénéité des métastases dans le cancer du pancréas le plus fréquent, l’adénocarcinome canalaire (PDAC), une forme très agressive de tumeur qui naît des cellules dans les canaux qui envoient les sucs digestifs vers l’intestin grêle, et tumeur compliquée à diagnostiquer car elle ne devient symptomatiques qu’à un stade avancé, métastatique.

Mais pourquoi donc les patients qui présentent des métastases uniquement au poumon ont-ils une meilleure survie à cinq ans (survie médiane à 50 % de l'ordre de 1.000 jours, et pour certains patients jusqu’à 3.000 jours) que ceux qui ont des métastases au foie (500 jours), ou conjointes foie-poumon ? Sont-ce les mêmes cellules qui disséminent dans les deux organes et deviennent plus agressives dans le foie, ou sommes-nous face à deux tumeurs différentes, prédisposées à créer des métastases soit au foie, soit au poumon ? C’est l’hypothèse de départ du Liégeois. Sa conclusion permettrait de comprendre les mécanismes qui dirigent les cellules tumorales vers l’un ou l’autre organe, d’évaluer le pronostic des patients avant même l’apparition des métastases et de personnaliser les traitements en conséquence. Fameuses perspectives, et que l’on pourrait potentiellement dupliquer pour d’autres cancers !

90% des patients ont des métastases au foie,
ou des métastases conjointes foie-poumon

Une question de métabolisme

Pour modéliser l’hétérogénéité métastatique, Gilles Rademaker part d’une étude publiée en 2020 qui a dressé une carte des métastases après injection cardiaque dans un modèle murin. Deux groupes apparaissent dans le PDAC : des cellules migrent très fort et uniquement dans le foie, les autres ne poussent pas dans le foie mais migrent ailleurs, dont le poumon. « On a d’abord montré que les cellules que l'on pensaient tropiques pour le foie y poussaient très bien, mais quand on les injecte pour qu'elles aillent dans le poumon, elles n’y poussent pas », explique le chercheur. « Et ce n'est pas dû à leur agressivité générale puisque les autres cellules ne poussent pas du tout dans le foie mais bien dans le poumon. »

Ces organes ont des métabolismes différents, or le métabolisme, c’est le « dada » de Gilles Rademaker. Et si l’explication se trouvait là ? Après tout, le foie, usine à recyclage, contient des métabolites importants, contrairement au poumon. « En comparant les clusters poumon et foie, PCSK9 s’est avérée la protéine la plus différentiellement présente et exprimée dans le poumon », poursuit-il. « Cette protéine sanguine est un negative regulator of cholesterol uptake : elle se lie au récepteur LDL, sa présence en grande quantité dégrade le récepteur au LDL et il y a moins de récepteurs au LDL sur la surface de la cellule. Or le LDL est fabriqué dans le foie. Les cellules à faible niveau de PCSK9 ont plus de récepteurs au LDL sur leur membrane et en captent beaucoup, elles vont donc migrer vers le foie où abonde ce LDL. » 

Modifier le tropisme en jouant sur PCSK9

En boîte de Petri, si l’on ôte le mauvais cholestérol du milieu de culture, les cellules tumorales qui migrent vers le foie prolifèrent beaucoup moins. Celles qui ont un tropisme pour le poumon dépendent principalement du cholestérol endogène et le synthétisent à partir du glucose directement dans la cellule. « Quand on inhibe la synthèse du cholestérol, ces cellules qui migrent vers le poumon ne poussent plus, alors que ça ne dérange pas celles qui vont dans le foie qui, elles, utilisent le cholestérol exogène », détaille Gilles Rademaker.

Et si, en jouant sur le métabolisme du cholestérol, on pouvait modifier le tropisme métastatique des cellules cancéreuses du pancréas ? En surexprimant PCSK9 dans les cellules de la liver cohort, les LDL-récepteurs diminuent et, faute d’uptake, les cellules ‘shiftent’ vers la synthèse. « C’est très intéressant car les cellules auxquelles on bloque l'uptake ne vont plus pouvoir grandir dans le foie mais vont pousser dans le poumon. » L’inverse a également été testé : en inhibant la protéine PCSK9, les LDL-récepteurs augmentent, les cellules ne synthétisent plus et s’en vont capter le mauvais cholestérol, et poussent davantage dans le foie. 

Personnaliser la prise en charge

Différentes cellules produisent donc des métastases hépatiques ou pulmonaires. « Déjà, dans la tumeur primaire, quand on fait une coloration pour PCSK9, on peut prédire, dans 70 % des cas, où la métastase va s’installer », commente l’auteur de l’étude. La tumeur primaire pourrait donc présager la localisation de prédilection des (futures) métastases, un processus sans doute en partie cholestérol-dépendant. Une découverte révolutionnaire qui, si elle se confirme, ouvrirait la voie à des traitements différenciés.

« Il y a quelques marqueurs pour les métastases au cerveau dans le cancer du sein, mais cette piste est assez nouvelle », se réjouit Gilles Rademaker. « Or, la compréhension du tropisme métastatique est importante car c'est ainsi qu’on va pouvoir mieux comprendre la maladie et donc mieux traiter les patients. »
Il n'est cependant pas simple d'obtenir des cohortes de patients : les métastases au poumon seul ne représentent que 4 à 10% des patients atteints d'un cancer du pancréas, or ceux-ci ne sont généralement pas opérés, du moins en Belgique. "C'est grâce au travail incroyable des pathologistes que nous avons a pu obtenir un nombre important d’échantillons pour pouvoir faire des statistiques", précise le chercheur.

Et la voie lipidique n’est pas l’unique axe de recherche ouvert par le jeune chercheur, qui évoque d’autres voies de signalisation candidates à influencer le tropisme, ou encore le taux d’oxygène tumoral, qui entraîne un stress oxydant et une série de cascades métaboliques dans la cellule (en très résumé, les cellules qui poussent dans le foie ne le peuvent dans le poumon faute d’antioxydants en suffisance, antioxydants qui viennent de la voie de synthèse du cholestérol).

Gilles Rademaker a du pain sur la planche pour occuper son nouveau mandat FNRS. Et nul doute qu'il fera bientôt reparler de lui.

Gilles RademakerÀ propos de Gilles Rademaker
Après un cursus en pharmacie à l’ULiège, Gilles Rademaker passe sa thèse de doctorat chez les professeurs Vincent Castronovo et Olivier Peulen (Laboratoire de recherche sur les métastases - Giga Liège) sur la protéine myoferline dans le cancer du pancréas et autres cancers digestifs.
Lauréat d’une bourse BAEF (Belgian American Educational Foundation), le Liégeois s’envole à l’automne 2020 pour l’Université de Californie à San Francisco (UCSF), au laboratoire de Rushika Perera (cancer du pancréas), initialement pour un an. Grâce à des financements américains, il y restera quatre ans, poursuivant ses recherches sur l'hétérogénéité des métastases dans l'adénocarcinome canalaire pancréatique (PDAC) dont les résultats viennent de paraître dans la revue Nature [1]. De retour au Giga Liège, il dispose, depuis le 1er mai 2025, d’une bourse comme chargé de recherche FNRS pour trois ans.

>> [1] PCSK9 drives sterol-dependent metastatic organ choice in pancreatic cancer https://doi.org/10.1038/s41586-025-09017-8

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Écrit par Cécile Vrayenne
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