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Troubles de l'humeur

La dépression périnatale

Plus sévère que le simple « baby blues », la dépression de la période périnatale (prénatale et post-partum) est un trouble dépressif caractérisé à part entière. Largement sous-estimé et sous-traité, il peut pourtant avoir de sérieuses répercussions sur la mère et sur l’enfant.    

Dre Juliette Debeaud
Dre Juliette Debeaud. © Thierry Strickaert

Malgré une récente libération de la parole sur la question, la société continue à présenter la maternité comme une expérience exclusivement positive. Les mères déprimées restent stigmatisées. Bien souvent, elles ont honte, se sentent coupables et n’osent pas parler de leurs difficultés, ce qui fait obstacle à leur prise en charge. En outre, la dépression périnatale est peu connue et rarement détectée par les prestataires de soins. Résultat : alors que la prévalence de la dépression du post-partum chez la femme est de l’ordre de 17 %1, plus des trois quarts des femmes dépistées ne sont pas traitées2. Jusqu’à 60 % des femmes souffrant de dépression périnatale n’entreprennent d’ailleurs aucune démarche pour être aidées3.

Dépression ou baby blues ?

Nous ne parlons pas ici d’un simple « baby blues »3. « La plupart des mères présentent des symptômes dépressifs légers qui se manifestent quelques jours après l’accouchement et disparaissent dans les deux semaines suivant leur apparition », rappelle la Dre Juliette Debeaud, psychiatre spécialisée en périnatalité au CHU Brugmann. « S’ils s’aggravent ou persistent plus de 15 jours et ont un impact sur le fonctionnement de la mère, alors il s’agit d’une dépression du post-partum. »

 La moitié des dépressions du post-partum commencent en réalité avant l’accouchement. Raison pour laquelle le DSM-54 parle de trouble dépressif majeur « avec début lors du péripartum », et non « avec début lors du post-partum », comme c’était le cas dans le DSM-IV5. Le DSM-5 évalue la durée du post-partum à quatre semaines. Or, on considère très fréquemment en clinique et en recherche que cette période s’étend jusqu’à 12 mois après la naissance6. Les pères aussi voient leur propre risque de dépression majoré aux alentours de la naissance3.

Symptômes et risques

Les symptômes incluent la tristesse, la culpabilité, la perte de plaisir et d’intérêt, la fatigue, des troubles du sommeil, de l’anxiété et des pensées suicidaires3,4. « Le risque de suicide ne doit pas être sous-estimé », prévient la psychiatre. « Jusqu'à un cinquième des décès post-partum dans le monde sont dus à un suicide, sans compter les décès liés à des maladies somatiques en lien avec un contexte dépressif. Une découverte toute récente est que le risque accru de mortalité maternelle persiste jusqu’à 18 ans (!) après le début du suivi7. Quant au risque d’infanticide, il existe, mais il est plus rare3. » À cela s’ajoutent les répercussions que la dépression peut avoir sur la relation avec le ou la conjoint.e, sur la vie sociale et professionnelle de la mère et, bien sûr, sur l’enfant.   

Conséquences sur le bébé

La dépression peut altérer la capacité d’un parent à s’occuper de son bébé8. « La dépression du post-partum peut entraver l’établissement d’un lien de bonne qualité entre la mère et son enfant et altérer le développement de ce dernier », explique la Dre Debeaud. « Les mères dépressives ont une moins bonne capacité à détecter les signaux de leur bébé et à y répondre adéquatement, de façon suffisamment synchronisée. En cas d’échecs répétés de la synchronisation entre la mère et son bébé, dans un premier temps, le système orthosympathique du nourrisson va s’emballer et il va protester (bruyamment). Mais si ça ne permet pas d’obtenir une réponse appropriée de la part de la mère, dans un second temps, il va se retirer du monde relationnel pour tenter de favoriser sa survie. C’est ce que l’on appelle le retrait relationnel9. »

En cas de retrait relationnel, le bébé vocalise moins, évite le regard et a un visage moins expressif10. Sa mère peut l’interpréter comme du rejet – « Mon bébé ne m’aime pas ! » –, ce qui peut accentuer sa détresse et son sentiment d’incompétence. « Nous ne sommes donc pas face à un bébé “sage”, mais face à un enfant qui ne reçoit pas les nourritures relationnelles dont il a besoin, ce qui peut avoir des conséquences délétères sur son développement », poursuit la psychiatre. « La dépression du post-partum augmente le risque d’hospitalisation et de mortalité de l’enfant durant la première année de vie11. Et une méta-analyse montre que la dépression périnatale augmente le risque chez la progéniture de faire une dépression à l’adolescence et à l’âge adulte12. » 

Anamnèse et diagnostic

Il est donc essentiel de détecter une dépression périnatale. Pour ce faire, les prestataires de soins peuvent poser les questions suivantes :

- « Comment vous sentez-vous ? »

- « Comment vivez-vous votre maternité ? »

- « Comment ça se passe avec votre bébé ? »

Ils peuvent utiliser l’échelle de dépression postnatale d’Édimbourg (EPDS)13. Ce questionnaire auto-administré en dix items permet de dépister, mais aussi de suivre l’évolution d’une dépression périnatale [1]. « On s’inquiète si le score est supérieur ou égal à 11/30 », commente la Dre Debeaud. Le diagnostic de dépression post-partum est ensuite établi en réalisant un entretien clinique complet et en se basant sur des critères diagnostiques, comme ceux décrits dans le DSM-53,4.

Jusqu'à un cinquième des décès post-partum dans le monde sont dus à un suicide.

Qui est à risque ?   

Les facteurs de risque sont nombreux3,14-16 : la présence de symptômes anxieux et/ou dépressifs pendant la grossesse et d’un baby blues après l’accouchement, une grossesse compliquée ou non planifiée, les antécédents personnels et familiaux de troubles psychiatriques (dont une dépression périnatale antérieure), la consommation de drogues, le manque de soutien social, le faible niveau socioéconomique, une mauvaise qualité de sommeil, un bébé « difficile », des évènements stressants (décès, maladie grave, etc.), des problèmes conjugaux, etc. Les femmes ayant subi des violences de la part de leur conjoint ont également cinq fois plus de risque de souffrir d’une dépression postnatale17. A contrario, les études montrent que l’activité physique lors du péripartum réduit le risque de dépression périnatale18,19. Chez les pères, le fait de prendre un congé de paternité rémunéré de deux semaines diminue le risque qu’ils développent une dépression du post-partum20.

Comment traiter une dépression périnatale ?

Le traitement doit tenir compte du degré de sévérité de la dépression périnatale, du contexte particulier dans lequel elle s’inscrit et des préférences de la patiente3,21.

- En cas de dépression légère, les symptômes peuvent être améliorés par les traitements psychosociaux, tels que le soutien par les pairs et le counseling de soutien prodigué par des professionnels.

- La dépression modérée bénéficiera d’une thérapie cognitivo-comportementale ou interpersonnelle, centrée sur les difficultés liées à la transition vers la parentalité. La thérapie cognitivo-comportementale semble être la psychothérapie la plus efficace22. Ces thérapies relativement brèves peuvent être suivies dans le cadre d’une prescription de psychologie de première ligne et un réseau de santé mentale.

- La pharmacothérapie est recommandée en cas de dépression sévère. Les risques de la pharmacothérapie sont moindres que les potentielles conséquences du trouble. De plus, certains inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont compatibles avec l’allaitement et peuvent donc être prescrits aux mères allaitantes.

Quels médicaments prescrire ?

Les ISRS sont le premier choix et ils peuvent être utilisés seuls ou en association avec des traitements psychosociaux ou psychologiques3,21,23. « La sertraline et la paroxétine peuvent être prescrites à des femmes enceintes et qui allaitent », explique la Dre Debeaud. « Ces ISRS sont à prendre 6 à 12 mois après la rémission, puis diminués progressivement. Chez les patientes ayant des antécédents de dépression, les médicaments qu’elles ont déjà pris par le passé et qui se sont avérés efficaces doivent être prises en considération. Dans tous les cas, il convient de rappeler à la patiente qu’il faut attendre jusqu’à quatre, voire six semaines pour que le traitement fasse effet. » [2] Il est à noter que l’oestradiol est un traitement très prometteur pour traiter la dépression du post-partum24. Quant à la luminothérapie, elle n’a pas été largement étudiée, mais pourrait être efficace25.

Cela dit, avant de prescrire un traitement, « il convient de réaliser un bilan sanguin pour exclure une éventuelle cause somatique aux symptômes », préconise la psychiatre. « Des problèmes de thyroïde et l’anémie, par exemple, peuvent induire des troubles de l’humeur. »  

Dans tous les cas, il faudra identifier et travailler sur les facteurs psychosociaux liés à la dépression périnatale afin de limiter le risque de récidive.

Notes :
[1] L’EPDS se trouve facilement en ligne ; les patientes peuvent y avoir accès.
[2] En août 2023, la FDA a approuvé la zuranolone, qui agit dès le troisième jour sur les symptômes dépressifs26. Cette molécule n’est toutefois pas encore disponible sur le marché belge. 

Références:

  1. Wang Z, Liu J, Shuai H, Cai Z, Fu X, Liu Y, Xiao X, Zhang W, Krabbendam E, Liu S, Liu Z. Mapping global prevalence of depression among postpartum women. Translational psychiatry. 2021 Oct 20;11(1):543.
  2. Simas TA, Whelan A, Byatt N. Postpartum depression—new screening recommendations and treatments. 2023 Dec 19.
  3. Meltzer-Brody S, Howard LM, Bergink V, Vigod S, Jones I, Munk-Olsen T, Honikman S, Milgrom J. Postpartum psychiatric disorders. Nature Reviews Disease Primers. 2018 Apr 26;4(1):1-8.
  4. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders: DSM-5TM. 5th ed. Arlington, VA: American Psychiatric Publishing Inc; 2013.
  5. DSM-IV-TR Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th Edition, Text Revision
  6. Segre LS, Davis WN. Postpartum depression and perinatal mood disorders in the DSM. Postpartum Support International. 2013 Jun;3:1-6.
  7. Hagatulah N, Bränn E, Oberg AS, Valdimarsdóttir UA, Shen Q, Lu D. Perinatal depression and risk of mortality: nationwide, register based study in Sweden. bmj. 2024 Jan 10;384.
  8. Bernard K, Nissim G, Vaccaro S, Harris JL, Lindhiem O. Association between maternal depression and maternal sensitivity from birth to 12 months: a meta-analysis. Attachment & Human Development. 2018 Nov 2;20(6):578-99.
  9. Smith J. Le GRAND livre des 1000 premiers jours de vie: Développement-Trauma-Approche thérapeutique. Dunod; 2021 Sep 22.
  10. Guedeney A, Dumond C, Grasso F, Starakis N. Comportement de retrait relationnel du jeune enfant Du concept à l’outil diagnostique. médecine/sciences. 2004 Nov 1;20(11):1046-9.
  11. Jacques N, de Mola CL, Joseph G, Mesenburg MA, da Silveira MF. Prenatal and postnatal maternal depression and infant hospitalization and mortality in the first year of life: a systematic review and meta-analysis. Journal of Affective Disorders. 2019 Jan 15;243:201-8.
  12. Tirumalaraju V, Suchting R, Evans J, Goetzl L, Refuerzo J, Neumann A, Anand D, Ravikumar R, Green CE, Cowen PJ, Selvaraj S. Risk of depression in the adolescent and adult offspring of mothers with perinatal depression: a systematic review and meta-analysis. JAMA network open. 2020 Jun 1;3(6):e208783-.
  13. Guedeney N, Fermanian J. Validation study of the French version of the Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS): new results about use and psychometric properties. European psychiatry. 1998;13(2):83-9.
  14. Liu X, Wang S, Wang G. Prevalence and risk factors of postpartum depression in women: a systematic review and meta‐analysis. Journal of Clinical Nursing. 2022 Oct;31(19-20):2665-77.
  15. Yang K, Wu J, Chen X. Risk factors of perinatal depression in women: a systematic review and meta-analysis. BMC psychiatry. 2022 Dec;22(1):1-1.
  16. Zhao XH, Zhang ZH. Risk factors for postpartum depression: An evidence-based systematic review of systematic reviews and meta-analyses. Asian journal of psychiatry. 2020 Oct 1;53:102353.
  17. Desta M, Memiah P, Kassie B, Ketema DB, Amha H, Getaneh T, Sintayehu M. Postpartum depression and its association with intimate partner violence and inadequate social support in Ethiopia: a systematic review and meta-analysis. Journal of affective disorders. 2021 Jan 15;279:737-48.
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  21. Stewart DE, Vigod S. Postpartum depression. New England Journal of Medicine. 2016 Dec 1;375(22):2177-86.
  22. Branquinho M, de la Fe Rodriguez-Munoz M, Maia BR, Marques M, Matos M, Osma J, Moreno-Peral P, Conejo-Ceron S, Fonseca A, Vousoura E. Effectiveness of psychological interventions in the treatment of perinatal depression: A systematic review of systematic reviews and meta-analyses. Journal of affective disorders. 2021 Aug 1;291:294-306.
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  26. Simas TA, Whelan A, Byatt N. Postpartum depression—new screening recommendations and treatments. 2023 Dec 19.

Objectifs d'apprentissage

La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
·       L’épidémiologie de la dépression périnatale.
·       La différence entre la dépression périnatale et le baby blues.
·       Les symptômes de la dépression périnatale.
·       Les conséquences de la dépression périnatale sur le bébé.
·       L’anamnèse et les outils disponibles pour dépister la dépression périnatale, ainsi que la pose du diagnostic.
·       Les facteurs de risque de la dépression périnatale.
·       Les traitements disponibles par degré de sévérité de la dépression.
·       Le médicaments pouvant être prescrits en cas de dépression périnatale sévère. 

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Écrit par Candice Leblanc27 mai 2025

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