DOSSIER JM Academy
Troubles de l'humeur
La dépression de la personne âgée
Chez la personne âgée, la dépression est parfois confondue avec une pathologie cognitive et inversement. Elle est souvent associée à des comorbidités. Sa médication doit être adaptée en tenant compte de la physiologie particulière due à l’âge, sous peine de faire pire que mieux…

Isolement, manque d’interactions sociales ou de contacts tactiles, difficultés, voire impossibilité de faire de l’exercice, maladies chroniques et/ou aiguës… Le contexte de vie de nombreuses personnes âgées les rend particulièrement vulnérables aux troubles de l’humeur. Ce qui impacte autant leur qualité que leur espérance de vie. « Les tentatives de suicide sont fréquentes chez les plus de 70 ans, et elles sont souvent réussies », rappelle la Dre Florence Benoit, gériatre au CHU Brugmann. « Or, le diagnostic – et, par conséquent, le plan de soins thérapeutique – dans cette tranche d’âge est compliqué par la présence de comorbidités, mais aussi de symptômes non spécifiques, notamment au niveau cognitif. Ainsi, une démence peut mimer ou masquer un trouble dépressif et vice-versa. Idéalement, le dépistage de la dépression chez la personne âgée devrait donc être réalisé au moins une fois par an. »
Les outils de dépistage
« Êtes-vous déprimé.e ? » est la première question à poser à notre patientèle. En général, les personnes qui le sont répondent par l’affirmative. Cela dit, pour dépister le risque ou la présence d’une dépression, en médecine générale, le questionnaire en quatre items [1] de la Geriatric Depression Scale (GDS) est l’outil de référence. Si le score est égal ou supérieur à 1, il y a suspicion de dépression. « Ces questions – “Êtes-vous heureux.se ? Vous sentez-vous découragé.e ? etc.” – peuvent être délicates à poser », prévient la Dre Benoit. « Mieux vaut donc les aborder dans le cadre d’une conversation, ou alors proposer à la personne de répondre au questionnaire dans la salle d’attente, par exemple. »
Attention : en cas de troubles sévères de la mémoire (soit un score égal ou inférieur à 15/30 au Mini Mental State), la GDS n’est pas pertinente : on recourt alors à l’échelle de Cornell. Il faut donc d’abord bien connaitre la situation cognitive de son ou sa patiente afin de sélectionner le bon outil de dépistage.
Symptômes et degrés de sévérité
Si un trouble de l’humeur est détecté, il faut investiguer la symptomologie afin notamment de grader la sévérité de la dépression, car le traitement en dépend.
- Les symptômes principaux – communs à tous les types de dépression – comportent la tristesse, la perte d’intérêt pour les activités d’habitude satisfaisantes, la perte d’énergie et une fatigabilité accrue.
- Les symptômes associés recouvrent les troubles de l’attention et de la mémoire, la perte d’appétit, les troubles du sommeil – souvent une perte du rythme veille/sommeil ; la personne ne dort pas (assez) la nuit et trop en journée –, des idées négatives sur l’avenir, un sentiment d’inutilité et/ou de culpabilité, des idées et/ou comportements suicidaires.
Il importe de répertorier l’ensemble des symptômes et de les classer, car cela permet de grader la dépression. En effet,
- La dépression légère comporte deux symptômes principaux et deux symptômes associés ;
- La dépression modérée comporte deux symptômes principaux et trois à quatre symptômes associés ;
- La dépression (très) sévère comporte trois symptômes principaux et au moins quatre symptômes associés.
« En outre, il faut garder à l’esprit que la dépression de la personne âgée a toujours un impact ou un retentissement physique », ajoute la Dre Benoit. « Si nous détectons des maladies associées telles que des troubles auditifs ou visuels ou encore l’insuffisance cardiaque, il faut bien sûr les traiter et les corriger pour elles-mêmes, mais aussi comme facteur aggravant de la dépression. »
Une stratégie thérapeutique réaliste
Conformément aux recommandations, les dépressions légères à modérées devraient se traiter avec un soutien psychologique, des conseils d’hygiène de vie et l’un ou l’autre traitement symptomatique [2]. « Malheureusement, chez les personnes âgées, il y a plusieurs difficultés et obstacles à ces stratégies », constate la Dre Benoit. « La psychothérapie est rarement prescrite, pas toujours accessible et les seniors y adhèrent souvent moins que les personnes plus jeunes. Quant à l’exercice, il est rare que les plus de 75 ans soient physiquement en mesure d’atteindre le niveau d’activité physique requis pour observer un impact significatif sur leur santé mentale – même si, bien sûr, tout exercice doit être conseillé. Il est également primordial de promouvoir les interactions sociales et d’encourager les personnes âgées à maintenir une autonomie optimale correspondant à leurs capacités – cuisiner, jardiner, utiliser les transports, voyager, etc. – mais aussi les activités de base comme se laver et s’habiller. »
Si elles sont proposées ou dispensées par des personnes compétentes, les approches complémentaires ou alternatives – luminothérapie, aromathérapie, zoothérapie, art-thérapie, etc. – peuvent améliorer les symptômes dépressifs. Cela dit, leur efficacité varie d’un individu à l’autre : certains y répondent bien, d’autres pas du tout. En outre, ces approches ne sont pas accessibles à tout le monde, tant au niveau financier que logistique et géographique. À cet égard, la première ligne et les prestataires de soins à domicile sont les mieux placés pour évaluer l’environnement de la personne âgée et les ressources locales dont elle pourrait bénéficier.
« Il faut garder à l’esprit que la dépression de la personne âgée a toujours un impact ou un retentissement physique »
Avant de prescrire…
Les dépressions sévères sont à traiter avec des médicaments antidépresseurs, mais pas n’importe lesquels. « La physiologie de la personne âgée la rend nettement plus sensible aux toxicités », rappelle la Dre Benoit. « Avant de prescrire un traitement, il est indispensable de vérifier les fonctions rénale et hépatique, ainsi que la présence éventuelle de troubles ioniques comme l’hyponatrémie. Ceux-ci nécessiteront soit un traitement préalable, soit une adaptation de dose avec un suivi biologique, soit un traitement adapté. Bon à savoir : une hyponatrémie réactionnelle à un ISRS induit de la confusion, des troubles cognitifs et un risque accru de chute. »
Il faut également procéder à une revue médicamenteuse préalable. Parfois, les symptômes dépressifs sont accentués, voire causés par l’un ou l’autre médicament ; adapter les doses, voire interrompre ou changer de traitement peut faire la différence. Les personnes âgées étant souvent polymédiquées, il faut bien sûr garder à l’esprit les nombreuses contre-indications et interactions avec les antidépresseurs. Par exemple, à cause d’une voie métabolique commune, les statines diminuent l’efficacité de la sertraline. Quant à la fluoxétine, on l’évite en gériatrie, à cause de ses effets anticholinergiques. « Les généralistes ne doivent pas hésiter à adresser leurs patients et patientes âgées en hôpital de jour gériatrique. En effet, le bilan gériatrique global peut inclure un.e pharmacien.ne clinicien.ne, mieux placé.e pour induire l’adhésion thérapeutique qu’un simple logiciel de vérification des interactions médicamenteuses. Nous pouvons adapter les traitements selon les cas et la balance risques-bénéfices et établir une fiche de soins avec des communications pertinentes de prises et d’indications. »
Quel antidépresseur choisir ?
- Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont le traitement de première intention de la dépression sévère, surtout si celle-ci comporte une composante anxieuse. « “Start low, go slow” : c’est la règle en gériatrie ! On commence donc avec une demi-dose et on titre toutes les six semaines, car les ISRS peuvent induire une hyponatrémie. Si tout va bien, on augmente progressivement, jusqu’à atteindre la dose adaptée. »
- Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine noradrénergique (IRSN) sont aussi une option ou une alternative aux ISRS. Principaux effets indésirables : sècheresse buccale, nausées, sudation excessive et, surtout, hypertension artérielle.
- La mirtazapine est recommandée en cas d’hyponatrémie ou de perte de poids, car elle a un effet orexigène.
- La trazodone est aussi à considérer, notamment pour son action sédative qui aide à normaliser un rythme veille/sommeil déséquilibré.
En revanche, on évite le lithium et les tricycliques, redoutables en gériatrie à cause notamment de leurs toxicités anticholinergiques, rénales et urinaires.
Surtout pas de benzodiazépines !
On ne le répètera jamais assez : bien que de nombreux seniors en prennent, parfois depuis des années, les benzodiazépines (BZD) ne doivent surtout pas être prescrites pour traiter une dépression ! Non seulement ces molécules n’ont aucun effet antidépresseur, mais elles majorent considérablement le risque de chute, avec toutes les morbidités et la mortalité que cela entraine.
« Raisons pour lesquelles nous essayons toujours de sevrer les personnes sous BZD », commente la gériatre. « Comme il n’est guère facile de les convaincre, l’ensemble des prestataires de soins doit donc tenir le même discours fort : “Non, les BZD ne vous aident pas à aller mieux ! Pire : à cause des effets secondaires (somnolence, confusion, troubles de l’équilibre, etc.), vous risquez de tomber et, à votre âge, outre la perte d’autonomie, le risque de mortalité à un an après une fracture ou une chute est d’environ 50 %.” Si, vraiment, on n’a pas le choix et que les BZD sont nécessaires, alors il faut conclure un pacte avec la personne et imposer un délai thérapeutique de maximum deux semaines. Au-delà, les risques l’emportent sur les bénéfices. »
Notes :
[1] Dans les services de gériatrie, c’est la GDS en 15 ou 30 items qui est utilisée pour détecter et grader la dépression.
[2] Les troubles du rythme du sommeil peuvent aussi être traités avec de la mélatonine, de la luminothérapie ou de la valériane, moins coûteuse.
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
· Les facteurs augmentant le risque de dépression chez les personnes âgées.
· Les facteurs compliquant le diagnostic de la dépression chez les personnes âgées.
· Les outils disponibles pour diagnostiquer la dépression de la personne âgée.
· Les symptômes principaux de la dépression, versus symptômes associés.
· Les critères permettant de grader la sévérité de la dépression.
· Les stratégies thérapeutiques disponibles pour le traitement de la dépression légère à modérée.
· Les précautions à prendre avant de prescrire un traitement médicamenteux chez les personnes âgées atteintes de dépression sévère.
· Les critères présidant au choix des traitements antidépresseurs chez les personnes âgées.
· La mise en garde concernant l’usage des benzodiazépines chez les personnes âgées.