Opérer un bébé de 4,2 kg : la prouesse de Boris Lubicz

Quelques heures avant une intervention ultra-délicate sur un nourrisson atteint d’une malformation cérébrale sévère, le Pr Boris Lubicz, directeur du service de neuroradiologie interventionnelle à l’H.U.B, livre un témoignage poignant sur les défis et les risques…
Ce 12 juin 2025 restera une date marquante dans l’histoire de la médecine néonatale belge. Ce jeudi, le Service de neuroradiologie interventionnelle de l’H.U.B du Pr Boris Lubicz et le Laboratoire de physiologie de la Faculté de médecine de l’ULB du Pr Nicolas Baeyens ont annoncé dans Nature Cardiovascular Research une découverte inédite qui pourrait transformer la prise en charge des malformations vasculaires du cerveau chez les nouveau-nés. Des anomalies aussi rares que meurtrières, parmi lesquelles la redoutée « malformation de la veine de Galien ».
Nous retrouvons le Dr Lubicz juste avant son opération :
Le journal du Médecin : Pr Lubicz, pouvez-vous nous expliquer le contexte et les enjeux de cette intervention chirurgicale ?
Pr B.L. : Ce bébé pèse aujourd’hui un peu plus de 4 kilos, ce qui est déjà un poids conséquent pour un enfant né avec une forme agressive de malformation veineuse cérébrale. Cela reste néanmoins une intervention très délicate. Heureusement, les nouvelles technologies nous permettent de cartographier précisément les vaisseaux avec une seule injection de quelques millilitres. On limite ainsi les produits de contraste et les manipulations.
Pourquoi faut-il souvent plusieurs interventions dans ce type de pathologie ?
Dans les formes agressives, la malformation est massive : des dizaines de connexions anormales entre les artères et les veines cérébrales. Il faut les boucher, mais on ne peut pas tout faire en une fois : cela serait trop dangereux pour le cœur et risquerait de provoquer des hémorragies ou des thromboses. On fractionne donc les interventions. Le cœur de l’enfant est monitoré en permanence par les anesthésistes, qui sont des partenaires essentiels.

Quels sont les risques et les perspectives à long terme ?
Dans les cas les plus graves, on a environ 80 % de survie, mais seulement 50 % de développement cérébral normal. Tandis que dans les formes moins agressives, on atteint quasiment 100 % de survie et un développement normal. C’est pour cela que notre objectif est d’essayer de transformer les formes agressives en formes plus légères grâce à une approche combinée : médicamenteuse d’abord, puis interventionnelle.
Justement, vous avez récemment fait une découverte importante en ce sens ?
Oui. Avec notre équipe, nous avons publié dans Nature Cardiovascular Research une étude sur l’utilisation d’un médicament capable de stabiliser ces malformations très précocement, parfois dès la naissance, voire in utero. Cela pourrait permettre de repousser les interventions à 4 ou 6 mois, quand l’enfant est plus fort. C’est une avancée majeure, qui pourrait transformer la prise en charge dans le monde entier.
Vous avez mentionné le poisson-zèbre comme modèle de recherche…
Oui, c’est un modèle simple mais très efficace. Il permet d’observer en direct la formation des vaisseaux sanguins, au microscope électronique. Cela nous a permis d’identifier un défaut de fusion comme origine de la malformation. Grâce à un financement du FNRS et de la Fondation ULB, on a pu développer cet outil de recherche très précis.
Et concernant les remboursements de ces traitements ?
Il y avait un vrai problème : les actes pédiatriques sont moins bien remboursés que ceux pour adultes. Ça n’encourage pas les hôpitaux à s’investir dans ces soins complexes. Nous avons plaidé auprès de l’Inami pour obtenir une reconnaissance spécifique. Résultat : un code de remboursement particulier pour les enfants de moins de 6 mois entre en vigueur cette année. C’est un combat de longue date.
Vous disiez qu’on investit moins dans les soins aux enfants ?
Oui. C’est un constat brutal : parce que les maladies pédiatriques sont plus rares, elles rapportent moins. Mais c’est un non-sens absolu. L’espèce humaine est peut-être la seule à investir moins dans les plus jeunes. C’est un enjeu éthique autant que médical.
Un mot sur les cas les plus anciens que vous avez suivis ?
Un garçon opéré il y a 12 ans a survécu malgré une forme agressive. Son cœur fonctionne normalement, il n’a plus de risque d’hémorragie cérébrale, mais il présente un retard de développement de type autistique probablement lié. Cela montre qu’on peut sauver des vies, mais que le combat continue pour améliorer la qualité de vie.
Y a-t-il une différence entre filles et garçons ?
Non, il n’y a pas de prédominance nette. En revanche, le facteur génétique peut jouer. Par exemple, la maman qui a témoigné est atteinte de la maladie de Rendu-Osler, une maladie héréditaire qui favorise les anomalies vasculaires. Ce n’est pas la même pathologie, mais cela peut prédisposer.
Entretien réalisé en présence de plusieurs journalistes. Certaines questions peuvent n'avoir pas été posées par le journal du Médecin.