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Les grands entretiens du Jdm : La Troisième révolution de la médecine

Dans son dernier livre, le Dr Jean Creplet jette les bases de ce qu'il appelle la Troisième révolution de la médecine. Après le triomphe de la nature sur les mythes et les légendes (Hippocrate), le triomphe de la médecine expérimentale sur les charlatans (Claude Bernard), la médecine vit une Renaissance. Elle doit en effet surmonter l'idée qu'elle peut tout résoudre et se réconcilier avec la notion d'argent.

Dans votre livre, après un long préambule dans lequel vous faites coïncider la médecine moderne avec Claude Bernard, vous entrez dans le vif du sujet en expliquant qu'aujourd'hui, cohabitent en médecine, le mythe, l'autorité scholastique et l'empirisme...

Ce qui traverse toutes les idées que j'essaie d'expliquer dans mes oeuvres, c'est ce que j'ai appris avec les patients. C'est très simple, au fond : le patient (notamment), avec sa pensée, affronte trois " fronts " : les relations physiques, les relations aux autres et les relations émanant des forces sociales dont l'expression la plus forte est l'argent. Il y eut d'abord les mythes et les religions, puis la raison s'est lentement imposée sous forme scholastique et puis la raison exprimée sous forme empirique (expériences scientifiques reproductibles) et, enfin, nous vivons maintenant sous le règne de la finance au sens large. Nous assistons à une époque très particulière car nous avons fait le tour de ces trois fronts : nous nous interrogeons aujourd'hui sur le sens de la science, ce qui pose la question de la valeur et de l'argent. Nous sommes en fait confrontés aux trois fronts en même temps.

Quand vous parlez de l'argent comme seul étalon mesurant la valeur, j'imagine que vous vous rendez compte de l'aspect très provocateur de cette idée ?

J'en suis parfaitement conscient. La première fois que j'ai " osé " l'exprimer, c'était à l'occasion des dix ans de " Renouer ", le mensuel des Mutualités socialistes. Dans cette antre du non-marchand, j'ai expliqué que l'argent était ce à quoi, à l'échelle sociale, nous accordions véritablement de la valeur. Dans le fond de la salle, quelqu'un a lancé : " Salopard ! Comment osez-vous, alors qu'en Afrique des gens meurent de faim ou vivent avec un euro par jour et alors qu'à côté on construit des mosquées, des palais, des églises! ". J'ai répondu : " Monsieur : vous abondez dans mon sens : l'argent est ce à quoi, à l'échelle du grand nombre, nous accordons de la valeur : un euro pour les uns, des millions pour les autres. "

Appliquez-vous cette maxime dans la relation thérapeutique patient-médecin ? Car tout donne l'impression que le médecin soigne son patient de manière complètement altruiste, désintéressée...

Bonne question ! Elle nous permet d'appliquer concrètement la maxime. Si vous regardez les idéologies (les grands repères qui donnent du sens aux valeurs partagées) dans les soins de santé, vous en avez une belle illustration entre, d'une part les tenants du " collectivisme " et de l'intérêt général et, d'autre part, les défenseurs du " libéralisme ", du choc des intérêts individuels d'où surgit l'intérêt général (Main invisible). Dans les soins de santé, que disent les " collectivistes " ? Les patients et les médecins ne doivent pas se préoccuper d'argent, laissez les gens compétents s'en occuper. La substitution ? " Le pharmacien va s'en occuper ! ", disent-ils. Intéressant, non ? Pauvre malade ! Pauvre médecin ! Ils ne devraient pas se préoccuper d'argent et de la valeur de ce qu'ils échangent. Cette idéologie a débouché sur des dérives dramatiques. La gratuité des soins dans certains établissements de soins partout dans le pays a favorisé des dérives dans les consommations. De l'autre côté, les " ultra-libéraux " disent : que l'Etat se mêle de ce qui le regarde. Les patients n'ont qu'à se débrouiller et s'assurer. Le médecin fait ce qu'il veut. Ceci est un autre type d'abus, bien sûr. Ces deux extrêmes n'ont aucun sens. Dans un pays qui respecte la diversité, la question de l'argent peut se régler de niveau à niveau : le patient paie un ticket modérateur, il peut changer de médecin, choisir un docteur conventionné ou pas. Donc, je conclus provisoirement sur le fait que l'argent-valeur doit s'appliquer et que la tâche des grands décideurs est de faire en sorte qu'au niveau du patient et du médecin il y ait une marge de négociation sur les petits montants.


Vous consacrez un chapitre important à Claude Lévi-Strauss. Vous en extrapolez ce que vous appelez les trois regards : ceux du médecin sur le patient et du patient et sur le médecin...

Il faut parler du contexte actuel des relations humaines dans la société. Nous sommes dans un monde de spécialistes et de profanes. Nous sommes tous spécialistes (dans notre branche) et profanes (dans tout le reste). Quand un médecin est malade, il est aussi démuni face à ses confrères qu'un patient. Je citerai Jean-Claude Etchegoyen (" La Vraie morale se moque de la morale "). Je l'ai rencontré lors des dix ans de l'Agim (NDLR : ancien nom de Pharma.be). Il était très faible. Il avait un cancer et avait fait une phlébite profonde quelques mois avant... Comme malade, il était étonné à quel point les médecins imposent les traitements aux patients notamment cardiaques. Quand je parle comme ça à mes amis médecins, ils me disent : " Mais, enfin, les patients ne comprennent pas ! ". J'en viens à Lévi-Strauss... Je vous recommande " La Pensée sauvage ". C'est limpide, et notamment le chapitre " La Science du concret ". L'anthropologue explique que le langage des tribus sauvages est terriblement précis avec des mots différents pour le même fruit selon qu'il est en gestation, mûr, selon son usage, etc. Ces tribus avaient donc une connaissance extrême de leur milieu. Dans ce même texte, Lévi-Strauss fait allusion à des anthropologues allemands méprisant ces tribus, du haut de leur rationalité occidentale. Dès lors, mes confrères qui disent : " Je suis un pur scientifique. Je décide ce qui est bon pour le patient ", point, ils mélangent toute une série de choses. Or, " ce qui est bon ", ça nous ramène à la réalité intérieure du médecin, son regard sur le patient. Lorsque le malade se présente à mon cabinet, j'ai, sur lui, dans un premier temps, le regard focal du scientifique, du technicien. Mais, curieusement, comme le patient est un être-parlant, c'est à lui de m'expliquer son problème. Le malade se place donc lui aussi sur un plan technique! A la technicité du médecin correspond au moins une question technique du patient. Au niveau technique, le médecin a une supériorité certaine mais pas totale ! Je pense à mes gardes de jeune MG : J'examine un patient. Je lui dis : " Ecoutez : ce n'est pas grave, votre migraine. Ça va passer... " Je sors... et il me rattrape et me dit : " Docteur, j'ai oublié de vous dire que j'avais des selles noires. " Je l'avais examiné couché. Je prends sa tension debout, elle tombe. Il faisait une hémorragie digestive ! Donc, le patient a une vraie connaissance. S'il ne la partage pas, si mes questions dirigées ne révèlent pas le mal profond, je suis impuissant. Tout repose un peu sur moi. Bien sûr, dans l'urgence, le malade n'a rien à dire, le niveau technique l'emporte. Mais nous sommes passés à l'ère des maladies chroniques actives. A cause de la chronicité active de leur maladie, ils ont une expérience de leur rapport avec les médecins et acquièrent une compétence technique sur leur maladie. [Depuis les progrès de la cardiologie interventionnelle, la majorité des patients qui survivent] ont évidemment l'occasion d'expérimenter leur médecin et les thérapies. Un tel dit à son médecin : " Vous me dites de prendre des aspirines tous les jours mais je saigne tout le temps... L'écoute du patient très individualisée entraîne un dialogue technique et pourtant encore pas mal de médecins considèrent ce patient comme une nullité technique. J'ai un membre de ma famille diabétique : elle en connaît un rayon sur son insulinothérapie et sa popote, je peux vous l'assurer !

Donc, vous comparez carrément le médecin ancienne manière au colonialiste arrivant dans une peuplade sauvage ?

Vous allez me faire des amis ! En premier lieu, vous n'allez pas faire de moi un grand critique du colonialisme. Ayant passé mon enfance en Afrique, je peux vous dire que faire des 'mea culpa' sur la colonisation, c'est très facile. L'histoire s'est faite comme elle s'est faite. Elle a été ultra-dure, on le sait. C'est vrai sur la façon dont on a imposé sa domination mais aussi chez nous il y a eu une violence inouïe dans la manière avec laquelle les nouvelles techniques se sont imposées... Donc, je reprends le fil. Au moment où l'on applique une technique, on passe au deuxième regard : sociétal. Le type qui va vous mettre un stent, mis au point par un Anglais, dans une société très spécialisée, ce spécialiste a tendance à proposer ce qui existe dans sa spécialité. Le cardiologue en particulier ! Dans ma spécialité, j'ai le choix entre trois attitudes : conservative (avec des pilules bien doucement) ; utilisation de la cardiologie interventionnelle (correction de vices valvulaires) ; chirurgie. Spontanément, le médecin spécialiste va vouloir mettre sa technique en oeuvre. S'il a un nouveau stent, il va vouloir le promouvoir, c'est bien naturel ! Le défi, c'est de discuter avec le malade de ce qui lui convient le mieux. Or, là, vous vous heurtez à votre intérêt (...). Puis on en vient à l'éternelle question : le patient sait-il le payer ? C'est le niveau sociétal. Voilà les trois regards. Côté patient, c'est la même chose : il cherche un médecin compétent techniquement, qui va l'écouter et il va chercher à savoir comment il va le payer. Ce sont les trois regards du patient.

Venons-en à la troisième révolution de la médecine en Europe, titre de votre livre... Vous dites que cette troisième révolution surviendra dans une révolution générale de la pensée : cette pensée qui a donné tant de pouvoir à homo-sapiens. La première révolution a consisté à rejeter les croyances ; la deuxième a introduit l'importance de l'expérimentation et la troisième, nous y sommes...

Je voudrais m'exprimer sur ce terme de révolution. Je ne crois pas à la Révolution mais à l'Evolution. J'ai été frappé par la lecture du livre du psychiatre Jean-Pierre Lebrun de l'UCL " De la Maladie médicale ". En fait, nous avons d'abord la Première révolution avec Hippocrate qui dit " La maladie, ce ne sont pas les Dieux, c'est la nature ". C'est le triomphe de la raison. La deuxième, c'est Claude Bernard, " Introduction à la médecin expérimentale ". Il dit : " C'est très bien la raison mais elle nous fait concevoir des modèles qu'il faut confronter d'abord à l'expérience. " J'ai trouvé très intéressant de me demander : s'il devait y en avoir une troisième (r)évolution, quelle serait-elle ? Si je dis, c'est l'argent, vous allez me dire : " Attention, Dr Creplet, la médecine, ce n'est tout de même pas un commerce ! Vos patients, ce ne sont quand même pas des clients ! " Eh bien oui : pour moi, la troisième révolution de la médecine, c'est que les médecins sont comme les autres : ils vendent quelque chose. Ce qu'ils font correspond à une certaine valeur qui à un moment donné se détermine financièrement. Donc, au-delà de Claude Bernard, c'est de dire : La médecine, c'est plus qu'une science expérimentale, c'est comme l'a dit Jean-Luc Demeere à une réunion des directeurs médicaux des hôpitaux, un " business ". Les médecins doivent accepter qu'ils sont les agents d'un business, voilà la troisième révolution de la médecine.

Certains vous diront : quelle horreur !

Sans doute. Et si au contraire c'était une chance pour le business ? Si on compare cela à de toutes les perversions idéologiques que nous avons eues dans l'histoire, comme la scission entre un monde du commerce et un monde du non-commerce. Ceci sous-entend qu'on peut définir ces deux mondes juridiquement. Dans l'un (NDLR : le non-marchand), on pourrait tout se permettre, tout serait excusable même juridiquement. On serait adoubé comme honnête.

Comme vous y allez !

Je suis prêt à relever n'importe quel débat sur ce thème. Car, c'est de moins en moins un tabou. Dans toutes les professions qui disent : nous ne sommes pas marchands, les digues sautent. Je viens de voir un avocat qui m'a expliqué que la séparation commerce/non commerce daterait de Rome. Mais c'est peut-être bien antérieur. Je ne sais d'ailleurs pas si elle a des racines religieuses. Cette idée vient des aristocrates à qui les autres (ceux qui ne le sont pas) reconnaissant le privilège de dire : " Nous, on ne manipule pas l'argent. Nous existons par nous-mêmes. Les autres, les commerçants, se chargent de cela. " J'ai découvert cela dans The Persian Boy de Mary Renault. Il s'agit d'un roman qui raconte l'histoire d'un esclave perse d'origine aristocratique vivant à la Cour d'Alexandre Le Grand. Ce jeune homme explique qu'en Perse, il y avait comme interdits la couardise et le commerce. " Il n'était pas question que ma mère aille acheter quoi que ce soit. Un esclave s'en chargeait. "

Donc, les nouveaux aristocrates, sont les gens qui travaillent dans le non-marchand ?

Vous me tendez une perche formidable ! Car, de plus en plus, dans mes exposés, je cite un livre intitulé " La philosophie de l'argent " de Georg Simmel, publié en 1900. Ce philosophe explique qu'il existe deux types de relations entre les gens : contractuelles et statutaires. Dans le premier cas, il s'agit d'un échange commercial; dans le second, la personne est payée pour son statut comme c'est le cas dans le non-marchand. Et il n'est pas question que cette personne rende des comptes ou qu'elle soit jugée sur le résultat. Ce qui nous rapproche des médecins à qui on demande de plus en plus des résultats. Une situation tout à fait nouvelle. Aujourd'hui, les nouveaux aristocrates sont ceux qui veulent être protégés par un statut... Mais c'est de plus en plus difficile. De plus en plus de gens doivent se justifier.


Vous parlez aussi d'une Renaissance de la médecine (au sens du siècle de la Renaissance)... Si on définit succinctement la Renaissance, c'est la redécouverte de la raison antique qui nous avait été cachée pendant le Moyen-Âge... Et au niveau médical, qu'en est-il ?

Ma question est : sommes-nous dans une dérive de la pensée, aujourd'hui ? Et y aurait-il une renaissance qui pourrait la corriger ? Je pense que nous sommes sans une dérive venant de gens qui ont cru énormément en la science comme les Grecs en la raison. Je résume : si je lance une étude sur le cerveau comme base de la pensée, elle sera toujours en retard sur les structures ultimes du cerveau en train de penser ! C'est un peu sans fin. De la même manière, la science a vite dévié vers les sciences politiques et le plus bel exemple, c'est le marxisme-léninisme qui a voulu introduire des lois biologiques dans l'histoire. Moi je suis partisan de Karl Popper qui disait justement que c'est impossible. L'histoire n'est pas un corps humain. Et l'histoire lui a donné raison lorsqu'en 1991, l'Union soviétique et 100 ans d'expérience scientifique in vivo d'expérience communiste s'est écroulée sous nos yeux. Nous avons donc vécu une dérive de la pensée scientifique que nous poursuivons actuellement avec l'ultra-libéralisme qui est présenté également comme une victoire scientifique.
Pourquoi nous sommes au seuil d'une Renaissance ? Parce qu'on peut enfin se poser la question : " Mais qu'a-t-on fait des fondements de la science ? " comme à la Renaissance on pouvait se poser la question de " qu'a-t-on fait de la raison ? ". Comment la science va pouvoir aujourd'hui affronter la pensée financière ? Le pouvoir uniquement à la Finance, dans l'histoire, ça n'a jamais tenu la route !

On en arrive alors aux nouveaux rôles des acteurs de santé dans un monde en silo : patients propriétaires de leurs corps, médecin généraliste coach, médecin spécialiste ingénieur, hôpital atelier de confection, mutuelles tiers connaissant et politicien-magicien... C'est mignon de comparer les politiciens à des magiciens...

Mais nous en sommes là! Cette allégorie date de 2007 lorsque j'ai débuté le livre que vous tenez entre les mains. J'étais à une réunion de la SSMG. Les médecins discutaient de cette nouvelle mode du patient consistant à s'informer sur internet, sur les forums, interpellant les médecins. Eh bien, la moitié des médecins étaient très intéressés par cet apport du patient. C'est une évolution pour moi inéluctable. C'est une évolution démocratique puisque le patient-profane négocie avec le médecin. Certains patients sans aucun diplôme d'aucune sorte disent : " Mais enfin, Docteur. On m'a donné ça déjà il y a un an. Ça ne m'a rien fait de bien. Faut-il vraiment recommencer ? " C'est en cela que les patients sont propriétaires de leur corps. Mais il y a quelque chose qui a changé : les patients se parlent entre eux, se fréquentent, s'échangent leur GSM. Il y a les forums. Ils s'échangent des infos sur les différents prestataires de soins. Moi, j'appelle cela créer de la connaissance ! La nature se moque des diplômes en médecine ! On a toujours eu des guérisseurs. Ambroise Paré était d'abord simple médecin du roi avant d'être reconnu comme chirurgien. Le Dr Eric Topol (NDLR : rédacteur en chef de Medscape) décrit cela très bien dans " La destruction créatrice en médecine " : il affirme qu'il ne faut plus se focaliser sur le médecin mais sur le patient : c'est lui qui connaît sa maladie. Bien sûr c'est exagéré comme tout ce qui est américain...

Venons-en au médecin généraliste coach...

Je n'ai aucun mérite à utiliser cette notion. C'est repris d'un médecin de la KUL qui disait cela il y a dix ans, un certain Heymans. Toutefois, je ne vois plus beaucoup de MG qui sont capables de dire : " Monsieur, pour ceci, vous devez aller voir tel professeur... " Et puis, un cardiologue aussi est un coach du patient ! Aux Etats-Unis, cela s'appelle le médecin-steward.

?

Steward dans le sens " qui vous guide ". Ces médecins-là appliquent véritablement la Troisième révolution de la médecine. Ils font leur business. Ils disent à leur patient : " Nous avons, en tant que médecin, une grande connaissance des endroits où on vous soigne bien. Nous nous engageons à vous accompagner dans votre recherche. Vous payez un montant X et on vous trouve l'endroit qu'il vous faut. " Quelle horreur ! Moi le grand spécialiste en cardiologie, des " stewards " vont me demander comment je soigne ! Pour quel résultat ! Eh bien, oui. C'est comme ça. C'est le rôle des médecins-stewards. Le gros problème de ces médecins est de se faire accepter dans les hôpitaux. Ce sont des changements de comportement qui vont arriver chez nous. Et c'est très bon car ça rétablit les équilibres. L'idée est lancée.

Et les spécialistes, comment vont-ils évoluer ?

Ils vont dépasser la médecine scientifique et passer à une médecine qui s'organise comme n'importe quelle science. On va passer à l'horrible modèle de la firme industrielle qui s'organise autour d'un problème, d'un cas et qui le résout. Si je vous dis " Schumacher " ?

Honnêtement, je vous réponds : le pilote de Formule 1 !

Je pense moi à un Néerlandais naturalisé américain homonyme du pilote de course. Un biologiste qui, avec un ingénieur électronicien, a créé une entreprise qui fait des tests sur les anticorps monoclonaux. Il fait travailler ensemble des spécialistes avec des compétences différentes. Tant que nos hôpitaux seront composés de médecins disant : " Les sifflements c'est pour moi le pneumologue " et " les sifflements c'est pour moi car je suis cardiologue ", comment voulez-vous que ça marche ? Ils doivent se décloisonner ! On va me dire : Quelle horreur ! J'aurai moins de stents à placer ! Dans une entreprise qui réussit, tous les spécialistes s'entendent. C'est de la
co-compétition : c'est de l'émulation. Tout le monde critique les multinationales mais personne ne se demande pourquoi elles dominent le monde. C'est parce qu'elles font travailler des gens ensemble.

Vous prônez donc des hôpitaux entreprises ?

Oui. Des entreprises où les médecins spécialistes vont apprendre à se coordonner au service du patient au-delà des tensions entre eux pour ne pas en rester à leur chasse gardée. Le tout dans l'intérêt du patient qui est le client de l'hôpital.

D'où " l'atelier de confection " : les soins c'est comme les vêtements sur mesure ? Vous allez encore vous faire des amis...

Oui. Je m'attaque à forte partie puisque Paul Krugman, prix Nobel d'Economie et chouchou des médias, dit que les patients ne sont pas des clients. Moi je dis : " Non, M. Krugman. Si on veut respecter ses patients, il faut les considérer comme des clients. "

Viennent ensuite les mutualistes, tiers connaissant, qu'est-ce à dire ?

Je revendique la paternité de cette notion. Je l'ai introduite lorsque je suis rentré à Pharma.be. Il y a un tiers-payant et un tiers-connaissant. Jusqu'à récemment, il y avait un article 9 de la loi des hôpitaux. Chaque fois que les hôpitaux dérapaient, l'Etat banquait (Lisez à ce sujet les Mémoires de Gaston Eyskens !). Un moment donné, le tiers-payant a dit : pourquoi je paie les médecins ? S'est donc développé, chez les mutuelles, le réflexe de pourquoi on paie ? On leur a répliqué qu'ils n'étaient pas médecins. Les mutuelles ont répondu qu'elles appliquaient les principes des grandes organisations. Le patron d'une entreprise de 130.000 personnes, il fait du benchmarking. Donc, les mutualistes ont commencé par comparer les coûts d'une appendicectomie, d'une intervention cardiaque. Ils se sont posé des questions comme des analystes financiers sur la valeur d'une intervention médicale. En Belgique, le tiers-connaissant, c'est le CNPQ, le Cebam, le KCE, tout parastataux financés par l'Etat.

N'y a-t-il pas un danger de tout quantifier?

Oui, on risque de se fourvoyer dans un autre extrême où on dit au médecin ce qui est bon ou mauvais. Je ne dis évidemment pas que le médecin sait tout et doit dire ce qu'il faut payer. Ce sont d'autres compétences et responsabilités. Mais il faut un équilibre entre le tiers-connaissant et les gens du terrain. Le médecin doit se poser la question : pourquoi est-ce le KCE (et le NICE en Grande-Bretagne) qui décide du Health Technology Assessment, qui dit la bonne médecine ? Il serait temps que les praticiens se disent : " Il faut en être ". C'est d'ailleurs la cas au NICE. Les médecins britanniques peuvent se faire entendre dans cette enceinte. On voit donc bien la transformation de la mutuelle, mouvement social d'entraide, plein de sens, enraciné dans une histoire de lutte sociale très humaine en un " financier ". Lors du procès des mutuelles, André Wynen a eu le soutien de la population car le peuple n'a pas compris que les mutuelles puissent agir en financiers. Aujourd'hui, les mutuelles se redonnent une virginité en s'érigeant en tiers connaissant. Les médecins ne peuvent pas balayer cela !

Vous défendez le QALY (Quality Adjusted Life Year - Année de vie en bonne santé) et surtout le coût par QALY que les Anglais utilisent pour décider du remboursement d'un médicament?

Méfiez-vous des règles définitives dans les rapports de pouvoir entre les hommes ! Je fais remarquer que en Angleterre le QALY est un outil de négociation.


Restent les politiciens magiciens... C'est péjoratif dans votre bouche ?

Pas du tout. Face aux choses apprises dans les Chambres syndicales, ce qui me met mal à l'aise c'est l'opposition entre le politicien tout noir et le médecin tout blanc. Moi je pense que tout ce qu'on reproche aux hommes politiques résulte davantage de la difficulté de leur tâche que de la malhonnêteté intrinsèque des hommes politiques. C'est un boulot infernal. Tout ce que nous ne voulons pas arbitrer, nous demandons aux hommes politiques de le faire. C'est pourquoi je parle de " magiciens ".

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Écrit par Nicolas de Pape
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