JM Academy / Infectiologie
Mise au point des diarrhées infectieuses
Quand demander une analyse de selles ? Quelle prise en charge envisager ? Quelle est la place de l’antibiothĂ©rapie empirique ? Quelles sont les particularitĂ©s du traitement des infections Ă Salmonella et Clostridium ? Â
Tout d’abord, quand demander une analyse de selles ? « Comme la plupart des diarrhées aiguës surviennent chez des personnes immunocompétentes, sans facteurs de risque, qu’elles sont d’origine virale et se résolvent spontanément, l'analyse de selles est rarement indiquée », explique le Dr Julien De Greef (infectiologue, Cliniques universitaires Saint-Luc).
« Il faudra la demander en cas de syndrome dysentĂ©rique, d’une atteinte sĂ©vère (avec signes et retentissement gĂ©nĂ©ral), devant un tableau traĂ®nant plus de sept jours, devant l'Ă©chec d'un traitement empirique, Ă©videmment dans le contexte d'une antibiothĂ©rapie prĂ©alable (Clostridium), chez un patient immunodĂ©primĂ© ou avec une maladie inflammatoire chronique, une personne âgĂ©e, dans la grossesse, en contexte Ă©pidĂ©miologique ou enfin dans le syndrome hĂ©molytique et urĂ©mique. »Â
Le journal du MĂ©decin : Quelles techniques microbiologiques sont-elles disponibles pour la mise au point d’une diarrhĂ©e infectieuse ?Â
Dr Julien De Greef : Pour la mise au point, on commencera par une coproculture qui permet d'identifier un certain nombre d'entĂ©ropathogènes (Salmonella, E. coli…). On peut utiliser des tests antigĂ©niques (Giardia, Cryptosporidium, C. difficile, rotavirus et adĂ©novirus), des techniques molĂ©culaires ciblĂ©es (CMV, C. difficile, norovirus) ou des panels multiplex, et la recherche des parasites. Â
Quelle prise en charge envisager ?Â
La prise en charge est d'abord supportive, avec la rĂ©hydratation orale (eau + sel + sucre), Ă l’aide d’une solution de rĂ©hydratation orale ou Ă©ventuellement d’une perfusion. On Ă©vitera les produits lactĂ©s parce qu'il y a une malabsorption transitoire des lactoses (due Ă une altĂ©ration des enzymes villositaires) et les aliments trop gras. On peut recommander le lopĂ©ramide (s’il n’y a pas de fièvre ni de sang dans les selles), mais on doit s'abstenir en cas de suspicion de C. difficile ou de tableau dysentĂ©rique. Quant aux probiotiques, ils sont peu efficaces, il n’y a pas ou très peu de donnĂ©es probantes dans la littĂ©rature. Â
Qu’en est-il de l'antibiothérapie empirique ?
On peut toujours envisager une antibiothĂ©rapie ciblĂ©e pour certains entĂ©ropathogènes. Quant Ă l’antibiothĂ©rapie empirique, elle induit dans certains cas une rĂ©duction des symptĂ´mes de l'ordre d’un jour, surtout pour les salmonelles et les campylobacters. Cela repose sur des donnĂ©es plutĂ´t anciennes. Par ailleurs, pourquoi donner des antibiotiques si bon nombre de cas, surtout chez les enfants, sont d'origine virale ou parasitaire ? Au-delĂ de ça, le problème de l'antibiothĂ©rapie empirique, c'est qu’elle peut accroĂ®tre le risque de certaines complications comme celles liĂ©es aux shigatoxines (STEC), elle peut prolonger le portage pour les Salmonella non typhi et augmenter le risque de colonisation par des germes multirĂ©sistants. Dès lors, pas d'antibiothĂ©rapie empirique systĂ©matique pour toute diarrhĂ©e aiguĂ« (surtout si on est hors contexte voyage). Â
Il est dĂ©montrĂ© que l’antibiothĂ©rapie augmente le risque de dĂ©veloppement d'un syndrome hĂ©molytique et urĂ©mique (SHU). C'est donc une bonne raison de s'abstenir d'utiliser des antibiotiques devant un tableau de diarrhĂ©e infectieuse. L’autre bonne raison, c'est le risque d'ĂŞtre colonisĂ© par un germe rĂ©sistant liĂ© Ă l'usage d’antibiotiques, ce qui a Ă©tĂ© bien dĂ©montrĂ© notamment dans le contexte de la diarrhĂ©e du voyageur. Â
Dès lors, Ă qui donner des antibiotiques ?Â
S’il y a des signes de gravitĂ© tels qu'une tempĂ©rature au-delĂ de 38,5°, une dĂ©shydratation significative, un syndrome dysentĂ©rique, des douleurs abdominales crampiformes sĂ©vères, en prĂ©sence de facteurs de risque (plus de 70 ans, immunodĂ©primĂ©s, porteurs de prothèse vasculaire, comorbiditĂ©s sĂ©vères) ou devant un tableau sĂ©vère et l’absence d'amĂ©lioration au bout de trois jours, sur base de la coproculture. Â
En premier choix, l’azithromycine 1g en dose unique ou 500 mg/jour pendant trois jours (si syndrome dysentĂ©rique). Les quinolones (ciprofloxacine) sont moins efficaces car il y a beaucoup plus de rĂ©sistances (diarrhĂ©e du voyageur) et plus d'effets secondaires (personnes âgĂ©es). En cas de grossesse, il faut penser Ă couvrir le Listeria et dans un contexte nosocomial, penser Ă couvrir le Clostridium. Â
Le traitement des infections a un peu Ă©voluĂ©, ces derniers temps…Â
En effet, et la stratĂ©gie diffère en fonction du pathogène en cause. Dans la famille des salmonelles, il y a une diffĂ©rence fondamentale entre les Salmonella non typhi et le tableau de fièvre typhoĂŻde. Les Salmonella non typhi, comme les S. enterica ou bongori, ne requièrent en gĂ©nĂ©ral pas de traitement, parce que lĂ oĂą on pourrait en escompter un raccourcissement des symptĂ´mes, en gĂ©nĂ©ral, le prix qu'on va payer devant un tableau pas trop sĂ©vère sera une augmentation de la durĂ©e du portage (quatre Ă cinq semaines en moyenne). Â
La seule petite nuance qu'il faut apporter, c'est que chez certains patients fragiles, on va redouter le dĂ©veloppement d'une bactĂ©riĂ©mie avec un risque d’aortite, d’endocardite. Il y a donc une indication de traitement chez les personnes de plus de 50 ans athĂ©rosclĂ©rotiques, les personnes immunodĂ©primĂ©es ou Ă risque cardiovasculaire (porteurs d'une valve). On paiera un prix : c'est un portage prolongĂ©, mais on Ă©radiquera l'infection au stade invasif, qui pourrait se compliquer d'une infection Ă distance.Â
Les autres salmonelles sont les S. typhi et paratyphi. Je voudrais insister sur le fait que ces germes-lĂ donnent le tableau de la fièvre typhoĂŻde, qui n'est pas un tableau de diarrhĂ©e infectieuse. La fièvre typhoĂŻde est d'abord une maladie du système lymphatique qui va Ă©voluer vers une dissĂ©mination hĂ©matogène gĂ©nĂ©ralisĂ©e. C'est liĂ© Ă l'ingestion de ces salmonelles qui sont transmises par voie fĂ©co-orale. C’est essentiellement une maladie de retour de voyage, et en particulier d'Asie du Sud-Est, du sous-continent indien, d'Afrique, nettement moins d'AmĂ©rique du Sud. Le tableau digestif est variable (diarrhĂ©e ou constipation). Il s'agit d'une maladie invasive qui sera diagnostiquĂ©e surtout par les hĂ©mocultures, beaucoup moins par les coprocultures qui peuvent ĂŞtre nĂ©gatives. Les complications, parfois sĂ©vères, peuvent heureusement ĂŞtre contrĂ´lĂ©es par les traitements antibiotiques (en prenant en compte le risque de rĂ©sistance). Â
Quelles sont les directives actuelles en rapport avec Clostridium difficile ?Â
Clostridium difficile est un bacille gram positif, sporulĂ©, et les souches qui sont responsables des symptĂ´mes sont uniquement les souches toxinogènes. L'adulte et l'enfant peuvent ĂŞtre porteurs asymptomatiques de ce Clostridium. Ce qui fait la sĂ©vĂ©ritĂ© de l'infection Ă Clostridium ou le dĂ©veloppement de l'infection clinique Ă Clostridium, c'est le fait d'avoir pris des antibiotiques au cours des deux ou trois derniers mois, surtout certains antibiotiques qui induisent particulièrement des dysbioses, comme les antibiotiques Ă large spectre ou la clindamycine. Â
Le diagnostic clinique repose sur la prĂ©sence de diarrhĂ©e et la mise en Ă©vidence du Clostridium. On parlera de colite Ă C. difficile sĂ©vère en prĂ©sence de fièvre, de leucocytose ou d'une insuffisance rĂ©nale, d'une forme sĂ©vère et compliquĂ©e lorsqu'il y a des retentissements gĂ©nĂ©raux, notamment hĂ©modynamiques, mĂ©gacĂ´lon toxique ou perforation intestinale. On distinguera aussi les colites Ă Clostridium avec haut risque de rĂ©cidive chez les personnes de plus de 65 ans avec un antĂ©cĂ©dent personnel de Clostridium ou d’immunosuppression. Â
En pratique, Ă Saint-Luc, nous recommandons pour un premier Ă©pisode de colite lĂ©gère Ă modĂ©rĂ©e, sans facteur de risque de rĂ©cidive, la vancomycine per os (gĂ©lule ou sirop) (alternative: mĂ©tronidazole), devant un tableau modĂ©rĂ© avec un facteur de risque de rĂ©cidive ou un tableau sĂ©vère sans facteur de risque de rĂ©cidive : vancomycine (ou fidaxomicine), devant un tableau sĂ©vère avec facteur de risque : fidaxomicine (ou vancomycine per os) et devant un tableau de colite sĂ©vère et compliquĂ©e, on associe vancomycine PO et mĂ©tronidazole IV (si ilĂ©us, vancomycine par voie rectale). Â
Enfin, depuis peu, la vancomycine est remboursĂ©e dans l'indication de la colite Ă Clostridium. Attention cependant Ă prescrire correctement, sinon votre patient ne recevra pas son traitement en temps et en heure. Dans ce cas-lĂ , il vaut mieux prescrire le mĂ©tronidazole. Â
Ojectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisĂ©(e) avec :Â
- Les indications de l’analyse de selles ;Â
- Les techniques microbiologiques disponibles pour la mise au point de la diarrhĂ©e infectieuse ;Â
- Les fondements du traitement de la diarrhĂ©e infectieuse ;Â
- La place de l’antibiothĂ©rapie empirique ;Â
- Les particularitĂ©s du traitement des diarrhĂ©es induites par les salmonelles ou Clostridium.Â
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