Des plaquettes pour retrouver l'odorat
Suite à un choc crânien, le patient peut subir une perte d’odorat. Une nouvelle technique en ORL, pratiquée à l'hôpital intégré Epicura (Mons), utilise les propriété des plaquettes présentes dans le sang pour régénérer les terminaisons nerveuses.
Le journal du Médecin: Avant tout, pouvez-vous rappeler de quelle manière l’odorat peut être impacté par un trauma crânien ?
Pr Jérôme Lechien, ORL à Epicura : Dans la boîte crânienne, le cerveau baigne dans le liquide céphalo-rachidien. Au niveau de la partie haute des fosses nasales, on a des récepteurs de l’odorat qui captent les odeurs dans le nez et qui remontent à travers l’os vers le cerveau, au niveau du bulbe olfactif, d’où l’information est ensuite transmise à l’intérieur du cerveau.
Pour faire remonter l’information, ces « fibres nerveuses » doivent traverser une partie de l’os qui ressemble un peu à une passoire. On appelle ça la lame criblée de l’ethmoïde, il s’agit d'une lame osseuse criblée de nombreux petits trous.
Lorsqu’un patient subit un traumatisme crânien, le cerveau est souvent propulsé de l’avant vers l’arrière, ce qui peut « sectionner » les radicelles nerveuses qui passent à travers la lame criblée de l’ethmoïde. Pour reprendre la comparaison avec la passoire, c’est comme si on en remplissait une de spaghetti et qu’on venait tirer sur les spaghetti qui dépassent par les trous : ça les sectionne, évidemment. C’est exactement le même principe qui provoque une perte d’odorat en cas de traumatisme crânien.

Cela concerne-t-il beaucoup de monde ?
Cela dépend du trauma. Si c'est un petit traumatisme crânien où la personne n'a pas perdu connaissance et où il n’y a pas vraiment eu de mouvement de l'avant vers l'arrière, souvent, le patient n’a pas de problème. Mais lorsqu'il s'agit d'un traumatisme crânien assez violent, comme un accident de moto ou un accident de vélo, c’est très fréquent.
En cas perte d'odorat de manière générale, quelles causes faut-il rechercher avant de choisir d’emblée celle du trauma crânien ?
Il faut toujours exclure la première cause de perte d’odorat dans la population, qui est la rhinite. L’inflammation au niveau du nez provoque un œdème et l'odeur n'arrive plus jusqu’à ces récepteurs dans le haut du nez. Selon le même principe, on doit aussi exclure les sinusites et les rhino-sinusites. Il faut donc toujours consulter un ORL, qui observera le nez en y passant une caméra.
Dans de nombreux cas de figure, on réalisera aussi un scanner ou une IRM pour voir s'il n'y a pas, par exemple, une tumeur qui comprime le bulbe olfactif à l'intérieur du cerveau. Ces trois étapes font partie du bilan minimaliste des pertes d’odorat. Il faut être sûr qu’il n’y a pas quelque chose qu’on peut soigner et qui peut permettre au patient de récupérer son odorat.
Si la cause identifiée est celle du traumatisme crânien, quel est le traitement proposé jusqu’à présent ?
Il n’y en a pas vraiment. Depuis des années, quand les gens perdent l'odorat, on leur prescrit de l'entraînement olfactif. Cela consiste à s'entraîner à sentir des odeurs tous les jours, jusqu'au moment où on les sent un peu plus fort, un peu comme de la kiné. Mais l'efficacité, bien que hautement suggérée, n’est pas totalement démontrée. Des recherches disent que ça fonctionne, d’autres, notamment une étude récente randomisée contre placebo, montrent que ça ne fonctionne pas. C’est donc assez controversé.
Vos recherches, elles, vous ont plutôt tourné vers les plaquettes. À nouveau, quel est le rapport entre odorat et plaquettes ?
Quand on endommage un vaisseau sanguin en se blessant, le sang va créer un caillot pour colmater la brèche et pour éviter que trop de sang ne s’écoule. C’est là qu’interviennent les plaquettes. Elles vont contribuer à former ce caillot, mais vont aussi libérer leur contenu, très riche en facteurs de croissance et de régénération, qui vont faire repousser le vaisseau à une vitesse extrêmement élevée pour limiter la perte de sang. Les plaquettes ont donc une vertu thérapeutique de médecine régénérative parce qu'elles contiennent énormément de facteurs de croissance.
Voici ce qu’on fait à Epicura, avec le plasma riche en plaquette – le traitement a été initialement développé par les Américains, mais je pense que c'est nous qui avons fait le plus d'injections au monde pour la perte d’odorat. On réalise une simple prise de sang au patient, puis le sang est centrifugé pendant cinq minutes. On récupère comme ça les plaquettes et, dans leur plasma, on les injecte dans la partie haute du nez où se situe la partie nerveuse qui a été endommagée, soit par le choc crânien, mais aussi potentiellement par le virus du covid. Dans les semaines qui suivent, les plaquettes vont libérer leurs facteurs de régénération hautement concentrés et les terminaisons nerveuses vont pouvoir repousser beaucoup plus vite que prévu.
Quelles sont les perspectives concrètes pour les patients traités ?
Les premiers signes de récupération apparaissent en moyenne après trois à quatre semaines. Au début, les patients ressentent les odeurs pendant une fraction de seconde. C’est le signe que ça marche, que quelques récepteurs ont repoussé mais qu'il faudra encore du temps. Il est impossible de dire à l’avance qui va répondre ou non. Souvent, les patients ont du mal à comprendre la notion de statistiques. Je leur explique toujours que pour les pertes d'aura suite à un traumatisme crânien, il y a deux chances sur trois qu’ils aient une amélioration objectivement démontrée à l’aide de tests d’odorat, mais que je ne sais pas dans quel tiers ils seront. Dans certains cas de figure, il faut deux, voire trois injections. D’emblée, je n’en fais qu’une : environ 40 % des patients sont satisfaits et on s’arrête là.
"Souvent, les patients ont du mal à comprendre la notion de statistiques."
On pense que deux phénomènes jouent. Il y a d’abord ce phénomène de régénération, qui accélère la repousse nerveuse. Mais il y aurait aussi un phénomène d'induction de la récupération. On a injecté du PRP chez des patients qui avaient perdu l'odorat il y a dix ou quinze ans suite à une grippe. Des études avaient montré que quand les patients ne récupéraient pas l'odorat après un covid ou après une grippe, c'était parce qu’il y avait toujours du virus dans le centre de l'odorat. Ce virus était comme « protégé » du système immunitaire parce qu'il était dans une sorte de sanctuaire. À chaque fois qu’un neurone ou un récepteur de l'odorat essayait de repousser, le virus infectait la cellule et le système immunitaire détruisait celle-ci, et cela pendant 15 ans d'affilée. Or, le PRP agirait dans ce cas de figure en empêchant le système immunitaire de détruire la cellule qui est en train de repousser. C'est pour ça que des gens qui n'ont eu aucun changement de l'odorat pendant dix ans peuvent avoir une récupération après s’être fait injecter. C’est donc ça, l’aspect inducteur de la récupération. Tout ça reste une théorie, mais je pense qu'on est sur la bonne voie.
Le gros problème, c'est que ce traitement n'est pas remboursé. Il faut donc compter environ 200 euros, c’est vraiment le prix minimal qu’on peut demander. Malheureusement, la mutuelle n'intervient toujours pas, alors que c'est un traitement qui fonctionne.