Journal des médecins

[opinion] 10.000 heures de pratique font-elles un chirurgien ?

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Foto: Harry Grout / Unsplash

On entend souvent dire qu’il faut 10.000 heures de pratique pour maîtriser une compétence. Qu’en est-il vraiment ?

Il y a deux ans, j’écrivais déjà à propos de la règle des 10.000 pas, qu’il ne faut pas la prendre trop au pied de la lettre. En pleine période creuse de l’actualité, cette règle rigide est revenue sur le tapis : 7.000 pas suffiraient en fait pour obtenir un gain de santé.

Mais il existe une autre règle des 10.000 : celle qui affirme qu’il faut 10.000 heures d’entraînement pour maîtriser une compétence.

Origine de la règle

Cette idée vient du best-seller Outliers: The Story of Success, de Malcolm Gladwell, qui s’appuyait sur les travaux du psychologue K. Anders Ericsson menés auprès de violonistes. Gladwell évoquait également la période hambourgeoise des Beatles ou encore les nuits de programmation de Bill Gates (Nguyen & Paul, J Thorac Cardiovasc Surg, 2020).

Or, Ericsson n’a jamais parlé de 10.000 heures précises : ce chiffre « rond » est surtout marquant, et il a pris ses distances avec la thèse de Gladwell (Harwell & Southwick, J Expert, 2021).

La pratique délibérée

L’idée qu’un entraînement prolongé mène à l’expertise trouve ses racines dans un article de Simon & Chase sur les joueurs d’échecs (American Scientist, 1973) et un ouvrage d’Ericsson & Smith sur les violonistes (Toward a General Theory of Expertise, Cambridge University Press, 1991).

La 'deliberate practice' (pratique délibérée) consiste en un entraînement conscient et méthodique visant à développer un haut niveau d’expertise (Ericsson et al., Psychol Rev, 1993). L’apprenant se fixe des objectifs ou reçoit des exercices de son coach, qui dépassent son niveau actuel de compétence (Harwell & Southwick, 2021).

Les connaissances et compétences se construisent grâce à un bon feedback et un entraînement adapté. Hambrick et al. ont toutefois montré que la pratique délibérée seule ne suffit pas à devenir expert (Intelligence, 2013). Macnamara et al. l’ont confirmé l’année suivante (Psychol Sci, 2014).

Perspective médicale

Certains continuent à trouver cette règle utile dans le sport, la musique, la science… et la médecine. Il est donc intéressant de se pencher sur la règle des 10.000 heures dans le domaine médical. La plupart des études portent sur la chirurgie (The Making of a Surgeon, Hirschl, J Pediatr Surg, 2015). L’entraînement produit-il réellement des compétences, une expertise et un comportement professionnel (Davidson, Aust N Z J Surg, 2002) ? Est-ce vraiment un « ticket to glory » ?

Nathan Colin Wong a étudié la question chez les internes en urologie, qui consacrent bien plus de 10.000 heures à leur spécialité (Can Urol Assoc J, 2015). La réponse de Beiko et al. a replacé ce volume horaire dans son contexte (Can Urol Assoc J, 2016). Barker & Reardon ont étudié cette règle dans le cadre de la chirurgie cardiaque (JAMA Cardiology, 2018), montrant que le volume opératoire du chirurgien est un facteur important, notamment pour des actes complexes comme le remplacement d’une valve aortique à haut risque.

Mais peut-être s’agit-il plutôt de 10.000 interventions que de 10.000 heures (Luu & Nguyen, J Thorac Cardiovasc Surg, 2022) ? Une étude sur la chirurgie de la main a montré que la pratique ne mène pas toujours à la perfection (Ko, JAMA Network Open, 2021).

Pourtant, dans une interview en 2024, le célèbre chirurgien cardiaque canadien Tirone E. David estimait qu’il faut effectivement autant de temps pour atteindre l’expertise (Nwajei & Ladak, University of Toronto Medical Journal, 2025). Il citait la célèbre phrase de Thomas Edison : « La créativité, c’est 1 % d’inspiration et 99 % de transpiration. » Du sang, de la sueur et des larmes, en somme.

Conclusion

La règle des 10.000 heures (environ dix ans d’entraînement) est donc arbitraire : cela pourrait être 8.000 ou 15.000 heures selon le niveau de compétence visé. Parfois moins, parfois plus. Au-delà de la quantité, c’est surtout la qualité de l’entraînement qui compte.

Dr Wim Van Hooste, conseiller en prévention – médecin du travail

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Écrit par Wim Van Hooste1 août 2025

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