Volume, valeur et gouvernance : les trois chantiers clés du système de santé
Le 13 juin dernier, dans un événement un peu éclipsé par l’actualité politique, la Chambre des représentants a accueilli le Policy Forum Towards a Future-Proof Health System, initié par le Patient Expert Center et le Think Tank on the Future of Health. Si les constats sont largement partagés, les organisateurs appellent à dépasser les silos institutionnels pour transformer les idées en actions concrètes. Une coalition existe. Reste à savoir qui portera réellement le changement.
Laurent Zanella
Vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, pénurie de personnel, budgets sous tension, gouvernance éclatée : le refrain entendu lors du Policy Forum du 13 juin sonne comme une ritournelle malheureusement trop bien connue. Le Pr Lieven Annemans (UGent), en ouverture de cette journée à la Chambre des représentants, a rappelé que « la santé est un investissement, pas un coût » et a défendu un basculement vers un modèle de production de santé fondé sur la prévention, les soins intégrés, la digitalisation et un financement centré sur le patient.
Le rapport égrène 34 recommandations, chacune assignée à un acteur institutionnel ou professionnel. Tous s’accordent : les constats sont connus, les freins aussi. Ce qui manque, c’est un pilotage opérationnel, stable, capable de dépasser les silos pour engager une réforme d’ampleur.
Prévention : ambitions réaffirmées, obstacles persistants
Le système de prévention belge reste en retrait par rapport aux standards européens. Les taux de participation aux dépistages du cancer colorectal, du col de l’utérus et du sein demeurent faibles, en particulier chez les publics vulnérables. En cause : une littératie santé insuffisante, des barrières linguistiques et numériques, et un manque de coordination entre niveaux de pouvoir.
Pour pallier la situation, les recommandations formulées sont claires : renforcer l’implication des soignants de première ligne, développer des incitants financiers, recourir aux équipes communautaires et promouvoir des outils innovants, notamment les tests sanguins et algorithmes de risque. Le forum alerte aussi sur le risque de surdiagnostic si les dépistages sont élargis sans plan de prise en charge adéquat.
Financement : de la quantité à la qualité
Les limites du modèle de financement actuel ont été largement débattues lors du Policy Forum. Selon le rapport, « notre modèle actuel de financement récompense le volume, pas le besoin ». Cette logique, encore très liée à la nomenclature et aux actes facturables, freine l’innovation, décourage la coordination entre prestataires et peut favoriser les surdiagnostics. Elle engendre aussi une pression budgétaire constante, sans permettre de véritables investissements de long terme.
Le forum appelle à une réorientation vers des modèles fondés sur les résultats de santé : rémunérer la qualité, les parcours de soins intégrés et la coordination, plutôt que la multiplication des actes. Le document insiste sur la nécessité de « budgets stables et pluriannuels » pour permettre aux hôpitaux d’innover. La réforme de la nomenclature est mentionnée comme une priorité, mais les participants déplorent son avancement trop lent.
« Des soins appropriés et une santé fondée sur la valeur ne sont pas des luxes — ce sont des nécessités pour rendre le système soutenable. »
Autre enjeu : les barrières financières à l’accès. Le rapport recommande de réduire les tickets modérateurs pour les soins essentiels, sur le modèle de ce qui existe pour le diabète ou les cancers.
Enfin, le texte pointe le manque d’interopérabilité des données, qui empêche un pilotage performant fondé sur des indicateurs de qualité et d’efficience. La modernisation du financement hospitalier apparaît comme un levier stratégique pour sortir d’un système jugé à bout de souffle.
Soins intégrés et gouvernance : un défi politique plus que technique
Les blocages identifiés ne relèvent pas tant d’un manque d’idées que d’une incapacité à les mettre en œuvre. Plusieurs interventions ont mis en avant l’urgence de renforcer la coordination, en particulier au niveau local, pour répondre à la complexité croissante des besoins. Mais les structures existantes restent fragmentées, et les modèles performants comme Zorgzaam Leuven, souvent portés par des acteurs de terrain, peinent à s’imposer à l’échelle nationale. Leur diffusion reste volontaire, sans soutien structurel ni incitant financier.
Le forum appelle à une intégration beaucoup plus poussée des soins et services sociaux, autour d’objectifs communs. Cela implique de dépasser les clivages entre niveaux de pouvoir et de clarifier les responsabilités opérationnelles de chacun. La coopération fédérale-régionale doit s’appuyer sur des mandats explicites, des programmes cofinancés et un partage d’objectifs de santé publique.
Le rapport souligne que sans réforme structurelle, les soins intégrés resteront confinés à des projets pilotes. Les participants ont plaidé pour une approche pragmatique, fondée sur des initiatives locales éprouvées, mais nécessitant un portage politique fort pour devenir la norme.
Qui portera le changement ?
Le rapport ne se limite pas au diagnostic : il insiste sur la nécessité de passer à l’action collective. L’événement s’est conclu par un acte symbolique – la signature collective d’une installation en forme de loupe (voir photo) – destinée à illustrer l’engagement commun à « regarder de plus près ce qui compte vraiment » et à construire une « coalition of the doing ».
Pedro Facon, au nom de l’Inami, a salué la qualité du rapport, soulignant qu’il était « aligné avec nos priorités ». Il a toutefois averti : « La Belgique est un pays de progrès lent » et « la gouvernance est notre vulnérabilité principale ». Pour lui, l’enjeu n’est pas de réinventer des solutions, mais de créer les conditions politiques et institutionnelles pour les mettre en œuvre.
Cinq propositions concrètes issues du forum
1. Objectiver les budgets en fonction de résultats santé.
2. Réduire les tickets modérateurs sur les soins essentiels.
3. Soutenir l’éducation à la santé dès l’école.
4. Investir dans l’interopérabilité des données.
5. Mettre fin aux soins à faible valeur ajoutée.