La Fédération des maisons médicales s'oppose à la grève des médecins du 7/7
Un nombre important de médecins du pays s’organise pour préparer une grève annoncée le 7 juillet en réaction à la réforme annoncée par le ministre de la Santé publique qui vise notamment l’amélioration de l’équité entre les rémunérations des soignants et une meilleure sécurité tarifaire pour les patients. Frank Vandenbroucke prend ses responsabilités en engageant une réforme absolument nécessaire pour garantir un système de santé juste et accessible.
La loi vise à améliorer l’accessibilité des soins
Selon le dernier rapport sur la performance de notre système de santé du KCE, les dépenses des soins de santé à charge des patients en Belgique sont beaucoup plus élevées que chez nos voisins européens. Un coût qui a un impact énorme sur l’accessibilité aux soins. Une étude menée par Solidaris révèle en effet qu’en 2024, 41% des Belges francophones ont renoncé à au moins une prestation de santé pour des raisons financières. Les suppléments d’honoraires gonflent la part du patient et participent au report des soins. De plus, ils ne s’adaptent pas aux niveaux de revenu des patients et ne sont donc pas équitables.
Le ministre fédéral de la Santé désire fixer des plafonds pour les suppléments d’honoraires, qui seraient limités à 25 % du tarif de base pour les soins ambulatoires et 125 % pour les soins hospitaliers. Rappelons que la moyenne nationale des suppléments d’honoraires hospitaliers est de 106 %, mais que certains hôpitaux facturent jusqu’à 300 % de suppléments. La mesure proposée permettra, d’une part, de limiter la part du patient et donc d’augmenter l’accessibilité aux soins de santé et, d’autre part, de mettre fin à de grandes injustices entre les médecins et à des pratiques choquantes. Ainsi, certains spécialistes facturent des suppléments cinq à six fois plus élevés que leurs confrères pour la même prestation ! Ceci semble être en contradiction avec le Code de déontologie médicale belge, dont l’article 34 stipule que « le médecin place les intérêts du patient et de la collectivité au-dessus de ses propres intérêts financiers ». La mesure de limitation des suppléments d’honoraires nous semble donc équilibrée.
Davantage de transparence
Une autre mesure envisagée dans l’avant-projet de loi, la suppression du conventionnement partiel pour les médecins et les dentistes (puisque les autres prestataires de soins n’ont pas cette possibilité), nous apparait également aller dans le bon sens.
Rappelons qu’un médecin déconventionné peut fixer lui-même le montant de ses honoraires tandis qu’un médecin conventionné s’engage à respecter les tarifs définis par la convention médico-mutualiste. Il s’agit alors de tarifs abordables pour les patients, négociés en échange de droits sociaux plus avantageux pour les médecins conventionnés. La législation actuelle permet un conventionnement partiel, permettant aux médecins et aux dentistes d’être conventionnés uniquement à certains horaires et de pratiquer des tarifs de leur choix à d’autres moments.
Cette situation hybride est souvent peu transparente pour le patient, qui fait déjà face à une grande opacité des montants des honoraires dans les cliniques et les hôpitaux. Lorsque les prestataires de soins sont partiellement conventionnés, il n’est pas toujours évident pour le patient de savoir quand le professionnel le reçoit dans un cadre conventionné et quand ce n’est pas le cas. Une situation qui peut aussi avoir pour conséquence indirecte une sélection des patients sur base financière et donc l’instauration d’une médecine à deux vitesses, les consultations hospitalières conventionnées étant remplies plusieurs mois à l’avance.
Cependant, tout n’est pas rose. Cette loi permet la création de « tarifs indicatifs », c’est-à-dire que les prestataires conventionnés pourraient appliquer des tarifs dans une fourchette prédéfinie plutôt qu’un tarif fixe comme c’est le cas actuellement. Ces tarifs indicatifs diminueraient la sécurité tarifaire du patient puisque, par exemple, pour une consultation chez deux médecins généralistes conventionnés, il pourrait être amené à payer des prix différents.
Une opposition qui ne dit pas son nom
L’opposition immédiate de certains médecins à cet avant-projet de loi (se mettre en grève avant même la moindre discussion) montre le peu d’importance accordée par les grévistes à l’impact négatif avéré qu’ont les suppléments d’honoraires sur l’accessibilité des soins. Au minimum, il est attendu des médecins de prendre du recul et de mettre en balance leurs intérêts personnels avec leur objectif de santé publique.
« On peut raisonnablement mettre en doute l'affirmation qui impliquerait qu’actuellement, les médecins soient à peine capables de payer leur matériel et d’avoir un niveau de vie décent. »
Certains d’entre eux avancent que cette loi risque de diminuer l’accessibilité et la qualité des soins. Ils avancent qu’avec la limitation des suppléments d’honoraires ou la suppression du conventionnement partiel, certains spécialistes vont devoir mettre la clé sous la porte faute de financement. On peut raisonnablement mettre en doute cette affirmation qui impliquerait qu’actuellement les médecins soient à peine capables de payer leur matériel et d’avoir un niveau de vie décent. Il est plus probable à nos yeux que ces médecins voilent derrière des intentions louables et présentables le fait que seul le manque de rentabilité financière les pousserait à fermer leur cabinet ou à soigner moins bien. Ont-ils oublié leur responsabilité sociale ? Ont-ils oublié leur code de déontologie ?
De plus, ces arguments ont déjà été mobilisés par des prestataires qui s’opposaient à l’interdiction des suppléments d’honoraires pour les patients bénéficiaires de l’intervention majorée dans l’ambulatoire. Ils ont été rejetés par la Cour constitutionnelle en 2024. La Cour, dans son arrêt, avait d’ailleurs pointé que les requérants n’apportaient la preuve ni d’un lien entre la qualité des soins et le montant des honoraires, ni de ce que « la mesure attaquée aurait un effet tel que certains praticiens seraient contraints de mettre fin à leurs activités, de quitter le pays ou d’adhérer contre leur gré à l’accord tarifaire ».
Notre mouvement est né en opposition à une grève libérale des médecins
Le combat des maisons médicales pour davantage de régulation du système de santé n’est pas nouveau, il est même à la source de l’histoire de notre mouvement.
Aux origines du modèle des maisons médicales, on retrouve en effet un conflit qui rappelle la situation actuelle. En 1963-1964, un conflit oppose une majorité de médecins au ministre Leburton qui veut réguler leurs honoraires. À l’époque, les médecins fixent librement le montant de leurs honoraires et les montants couverts par l’assurance maladie sont totalement déconnectés des prix réellement pratiqués, laissant une partie importante des frais de santé à charge des patients. Or, chaque fois que l’assurance maladie obligatoire augmentait le montant de ses remboursements, les médecins augmentaient d’au moins autant le montant de leurs honoraires et la situation difficile des patients restait la même. Durant les débats relatifs à la « loi Leburton », il est donc apparu aux parlementaires que fixer les honoraires de manière conventionnelle était la meilleure solution.
« Cette fois encore, à contre-courant, nous soutenons la prise de responsabilité politique d’un ministre qui œuvre dans une vision de santé publique pour la transparence des tarifs médicaux et leur plafonnement. »
Or, en 1964, 90 % des médecins jugent cette régulation contraire à leur liberté et partent en grève corporatiste. Certains médecins sont toutefois opposés à la grève et soutiennent le ministre au nom d’une attention à l’accessibilité des soins et d’une logique démocratique qui veut que les prix soient fixés par les pouvoirs publics. Ce mouvement contre la marchandisation des soins, pour une médecine de qualité accessible à tous et toutes, est au cœur de la création des maisons médicales et de notre Fédération. Nous ne l’avons pas oublié et cette fois encore, à contre-courant, nous soutenons la prise de responsabilité politique d’un ministre qui œuvre dans une vision de santé publique pour la transparence des tarifs médicaux et leur plafonnement.
Cet avant-projet de loi doit encore faire l’objet d’une concertation qui ne fait que commencer et si nous pouvons comprendre l’inquiétude des syndicats de soignants face à certaines mesures qu’il sera nécessaire de préciser, nous espérons une prise de conscience de l’urgence de cette réforme et du fait que ni la liberté thérapeutique ni l’indépendance des soignants ne sont ici en danger. La question de la liberté tarifaire révèle des enjeux sociaux et économiques qui vont bien au-delà de la relation soignant-patient. À travers l’accessibilité aux soins, c’est toute une vision sociétale de la justice, de la dignité et de la solidarité qui se dessine.
Bien entendu, notre soutien à la réforme du ministre Vooruit de la Santé ne s’étend pas au reste du gouvernement Arizona et à ses politiques d’insécurité et d’austérité que nous dénonçons. Nous n’appellerons pas à la grève des soignants dans le cadre de ce projet de loi et les maisons médicales resteront ouvertes pour assurer les consultations. En revanche, nous serons dans la rue pour défendre le secteur non-marchand et les acquis sociaux menacés par les politiques actuelles.