Le journal du médecin

Réforme des soins de santé : un autre regard depuis le terrain infirmier

Alors que la fronde médicale contre l’avant-projet de loi porté par Frank Vandenbroucke enfle, certaines professions de la première ligne adoptent un ton plus nuancé. C’est le cas des infirmiers à domicile, déjà largement conventionnés et soumis à des règles proches de celles que la réforme entend généraliser. Leur expérience apporte un nouvel éclairage dans ce débat polarisé.

Laurent Zanella

Edgard PetersEdgard Peters, directeur soins infirmiers de la Fédération de l’aide et des soins à domicile (FASD), explique que le texte ne bouleverse pas les équilibres existants dans son secteur. Il exprime toutefois un point de désaccord majeur : la méthode de concertation budgétaire.

« Contrairement à d’autres professions de santé, une grande partie des obligations prévues dans la réforme sont déjà en vigueur depuis longtemps chez les infirmiers, notamment pour accéder aux primes », rappelle Edgard Peters. Une réalité qui permet de lire autrement certains aspects du texte.

Frank Vandenbroucke : « Tout est lié à tout »
30 articles
Tout savoir sur la réforme soins de santéDécouvrez notre magazine sur la réforme soins de santé
Lire le magazinechevron_right

Conventionnement et primes : une réforme sans grand effet

Pour les infirmiers à domicile, l’avant-projet de loi ne modifie pas fondamentalement les règles du jeu. En effet, le secteur fonctionne déjà selon des critères proches de ceux que l’avant-projet entend généraliser.

« Aujourd’hui, 98 à 99 % des infirmiers à domicile sont conventionnés », souligne Edgard Peters. « C’est un prérequis pour accéder aux principales primes Inami : prime télématique, prime de formation, etc. »

Ce taux de conventionnement élevé s’explique en grande partie par la structure du financement : sans adhésion à la convention, il est impossible pour un infirmier de prétendre à la majorité des interventions financières prévues par l’assurance soins de santé. Le conventionnement est également requis pour pouvoir facturer via la procédure de tiers payant.

Quant aux suppléments d’honoraires, qui cristallisent l’attention du monde médical, ils ne concernent pratiquement pas les infirmiers à domicile. « Les suppléments ne sont pas pratiqués dans notre secteur vu le nombre d’infirmiers conventionnés.. »

Lutte contre la fraude : un soutien conditionné à une approche ciblée

L’avant-projet de loi prévoit la possibilité de suspendre le numéro Inami d’un prestataire en cas de fraude avérée, de retrait de visa ou d’agrément. Un mécanisme que l’ensemble des représentants infirmiers en Commission de conventions soutient dans son principe, à condition qu’il soit appliqué avec discernement. « La fraude reste marginale, mais elle ternit l’image de toute la profession », insiste Edgard Peters. « Et les cas de récidive existent bel et bien. »

Fort de son expérience au sein des chambres de recours, il évoque des situations où certains infirmiers, déjà mis en cause, créent une nouvelle société alors que leur précédente structure fait encore l’objet d’une procédure judiciaire. Une stratégie de contournement que l’on imagine sans difficulté calquée dans d’autres secteurs de soins.

« Les fraudeurs sont souvent facilement identifiables : non-respect intentionnel de la nomenclature, schémas répétitifs… Mais les mécanismes actuels ne suffisent pas toujours à les arrêter, ni à empêcher leur réintroduction rapide dans le système. »

C’est précisément pour combler cette faille que le secteur soutient la possibilité de rendre inactif un numéro Inami, à condition que la mesure soit ciblée, proportionnée, et adossée à des garanties procédurales. « Il ne faut pas que 99 % des prestataires honnêtes soient soumis à un excès de contrôles administratifs parce que quelques-uns fraudent. La confiance doit rester la règle, le contrôle l’exception. »

Edgard Peters met également en garde contre certaines orientations prises par certains organismes assureurs. « Certains poussent vers une logique de surveillance systématique. Ce n’est pas notre vision. Il faut bien sûr lutter contre la fraude, mais sans casser la relation de confiance. Les dispositifs doivent viser ceux qui abusent, pas ceux qui exercent correctement. »

Evidence-based medicine : un outil mal adapté aux soins infirmiers

Parmi les critiques adressées à l’avant-projet de loi, les représentants du secteur infirmier ont particulièrement attiré l’attention sur le recours à l’evidence-based medicine (EBM) comme critère d’évaluation des soins et de justification budgétaire.

Une approche que la FASD juge inadaptée si elle est transposée telle quelle à la pratique infirmière, sans tenir compte de ses spécificités cliniques, relationnelles et organisationnelles. « L’evidence-based medicine, ce sont des recommandations élaborées pour la pratique médicale, pas pour les soins infirmiers », rappelle Edgard Peters. « Si on se base uniquement sur ces critères pour juger de l’efficacité de nos soins, on passe à côté de toute une réalité clinique et relationnelle des soins infirmiers. »

Il rappelle qu’il existe peu de référentiels spécifiques à l’univers infirmier dans la littérature scientifique utilisée pour l’EBM. S’appuyer uniquement sur ces standards pourrait conduire à dévaluer des soins utiles, simplement parce qu’ils ne répondent pas à une grille d’analyse conçue pour les médecins.

« C’est un point que nous avons déjà soulevé à plusieurs reprises, notamment dans les groupes de travail sur l’efficience des soins. Si l’on veut parler de soins efficaces ou inefficaces, il faut d’abord définir sur quelle base on se fonde, et surtout impliquer les prestataires concernés dans cette définition. »

Un rejet unanime de la réforme de la concertation budgétaire

S’il y a un point sur lequel l’ensemble du secteur affiche son désaccord, c’est la nouvelle méthode de concertation budgétaire prévue dans l’avant-projet de loi. Cette réforme, qui transfère le pouvoir décisionnel au gouvernement, sans validation préalable des partenaires traditionnels (organismes assureurs et prestataires de soins), suscite une opposition nette.

« Sur ce point, nous sommes clairement alignés avec les autres représentants de la première ligne, les organisations professionnelles et les mutualités », affirme Edgard Peters. « Le texte rompt avec l’équilibre historique de la concertation à l’Inami. »

L’inquiétude est double : d’une part, une perte de légitimité démocratique dans les processus décisionnels ; d’autre part, une marginalisation des réalités de terrain dans l’élaboration des politiques budgétaires.

« Ce serait la fin d’une concertation réelle. On se retrouverait avec des décisions gouvernementales unilatérales, sans passer par les commissions de conventions, le comité de l’assurance, …. Ce n’est pas acceptable. »

Financement des fédérations : un modèle à part
Autre pierre d’achoppement de l’avant-projet de loi: la question du financement public des organisations professionnelles – les syndicats, singulièrement – conditionné au taux de conventionnement de leurs affiliés. Si le sujet fait débat dans d’autres secteurs, il semble largement inopérant dans le champ infirmier, du moins tel qu’il est structuré aujourd’hui.
« Le financement des fédérations infirmières ne passe pas par les canaux visés par la réforme », explique Edgard Peters. « À titre d’exemple, en 2012–2013, une enveloppe proportionnelle au nombre total d’infirmiers a été attribuée à l’Union générale des infirmiers de Belgique (Ugib), mais pas aux fédérations représentées dans les commissions Inami. »
Le paysage infirmier se caractérise en outre par une fragmentation importante des structures de représentation. Et la plupart des infirmiers au sein des hôpitaux, MR-MRS ne disposent même pas de numéro Inami, ce qui les exclut de facto des mécanismes de conventionnement individuel. « Cela signifie aussi que toute tentative d’articuler le financement des fédérations au statut conventionné de leurs membres risque de produire peu d’effet dans notre secteur. »

Accès GRATUIT à l'article
ou
Faites un essai gratuit!Devenez un partenaire premium gratuit pendant un mois
et découvrez tous les avantages uniques que nous avons à vous offrir.
  • checknewsletter hebdomadaire avec des nouvelles de votre secteur
  • checkl'accès numérique à 35 revues spécialisées et à des aperçus du secteur financier
  • checkVos messages sur une sélection de sites web spécialisés
  • checkune visibilité maximale pour votre entreprise
Vous êtes déjà abonné? 
Magazine imprimé

Édition Récente

Lire la suite

Découvrez la dernière édition de notre magazine, qui regorge d'articles inspirants, d'analyses approfondies et de visuels époustouflants. Laissez-vous entraîner dans un voyage à travers les sujets les plus brûlants et les histoires que vous ne voudrez pas manquer.

Dans ce magazine
Cookies

Le journal du Médecin utilise des cookies pour optimiser et personnaliser votre expérience d'utilisateur. En utilisant ce site web, vous acceptez la politique en matière de confidentialité et de cookies.