« Chasse aux sorcières » : en France, le décès brutal d’une généraliste émeut la profession
Fichée comme prescrivant trop d’arrêts de travail, la Dre Olga Chevalier, qui travaillait avec les plus précarisés, est tombée sous le coup d’une procédure de « mise sous objectifs » (MSO). Incapable de tenir les objectifs, elle devait verser une compensation financière à l’assurance maladie. Son décès révolte toute une profession.
« Une médecin généraliste exceptionnelle, compétente et très investie, et qui laissera un grand vide. » Ce sont ces quatre traits que choisissent ses proches pour décrire la Dre Olga Chevalier, décédée le 11 octobre à 62 ans. La généraliste exerçait dans un quartier populaire en Rhône, en zone sévèrement sous dotée en médecins traitants.
Des objectifs inatteignables
Depuis 18 mois, celle qui est décédée d’une crise cardiaque n’allait pas bien. « Olga était en souffrance ; elle tremblait parfois », rapporte le Dr Pascal Dureau, confrère généraliste qui exerce également à Vénissieux. Il y a 18 mois, la Dre Chevalier avait été repérée et fichée par un logiciel de la sécurité sociale française comme prescrivant des arrêts de travail trop nombreux et trop longs. Elle est donc tombée sous le coup d’une procédure de « mise sous objectifs » (MSO), qu’elle a acceptée. La Caisse nationale d’assurance maladie lui imposait de réduire de 20 % ses prescriptions d’arrêts de travail.

« Olga était en souffrance ; elle tremblait parfois »
- Dr Pascal Dureau
« Cet objectif était inatteignable, car ces arrêts étaient justifiés », dénonce la branche rhodanienne de MG France, syndicat des médecins généralistes, dans une lettre ouverte adressée au directeur de l’Assurance maladie, à la ministre de la Santé et aux parlementaires français. « Les médecins des quartiers les plus pauvres, qui suivent des patients lourds aux métiers physiques, sont particulièrement touchés. Les médecins répondent à la souffrance de la population. La santé mentale, désignée comme cause nationale en 2025 ne reste pas à la porte de leur cabinet médical. Les symptômes physiques présentés par les patients entrent dans une case unique pour l’assurance maladie alors qu’ils peuvent traduire un problème beaucoup plus complexe voire l’expression de violences subies dans le passé… »
Une pénalité à verser à l’assurance maladie
En fin de procédure de MSO, n’ayant pas atteint l’objectif, la Dre Olga Chevalier a été condamnée à verser une pénalité financière à l’assurance maladie, ajoutant à la pression psychologique déjà soutenue une pression financière difficile à tenir . « Olga a refusé de taire la souffrance des patients et a donc été pénalisée de 10.000€. Elle n’aurait pas pu partir en vacances sans faire un emprunt ! », rapporte le Dr Dureau.
Amère, la profession fustige le mécanisme des MSO, qui faisait déjà l’objet de controverses avant le décès de la Dre Chevalier. « De nombreux médecins sont à ce jour sélectionnés par un logiciel de l’assurance maladie sur base d’algorithmes incompréhensibles, injustes, qui stigmatisent les médecins qui prennent en charge les patients les plus malades et ceux qui en ont le plus besoin », regrette Guylaine Ferré, présidente de MG France 69, qui réclame la transparence sur les conditions de sélection des dossiers par l’assurance maladie et la fin de la campagne en cours sur les arrêts de travail, jugée injuste.
Pétition est lancée
La contrainte d’objectifs impossibles à atteindre est lue par le syndicat comme du harcèlement et une source de burn out : « La profession n’est pas opposée aux contrôles des dépenses mais elle refuse d’être le bouc émissaire des souffrances de la société. La contrainte d’objectifs impossibles à atteindre est lue par la profession comme du harcèlement et source de burn out. Comment accepter sans réagir de voir les confrères en larmes aux entretiens dans les CPAM (organisme privé qui joue en France le rôle des mutuelles d’interlocuteur vis-à-vis de l’Inami en Belgique, NdlR), et dans un état de stress et de détresse psychologique tout au long de la procédure ? »

« De nombreux médecins sont à ce jour sélectionnés par un logiciel de l’assurance maladie sur base d’algorithmes incompréhensibles, injustes, qui stigmatisent les médecins. »
- Dre Guylaine Ferré
Le Dr Dureau a, de son côté, lancé une pétition pour demander la fin des MSO. « Certains quittent l’exercice du métier de médecin généraliste. Les jeunes se détournent de cette profession pour exercer dans des centres de soins non programmés, où se pratique une médecine expéditive superficielle, ou pour devenir salariés dans des administrations, refusant ainsi de servir de bouc émissaire à une situation sociale dégradée. Il faut stopper ces mesures punitives qui tuent les médecins, qui les éloignent de ce beau métier et qui, demain, laisseront les patients sans aucun recours. »