« Trouver l’équilibre entre proximité et spécialisation »
Le nouveau président du MoDeS/Cartel, Arthur Poncelet, alerte sur les tensions budgétaires et la pénurie de médecins qui fragilisent le système hospitalier. Tout en plaidant pour une meilleure organisation entre soins de proximité et centres de référence, le Dr Poncelet défend une réforme globale qui garantisse à la fois la qualité des soins spécialisés, des conditions de travail décentes pour les praticiens et une facture supportable pour les patients.
Le journal du Médecin : Avec le principe « soins de proximité si possible, soins concentrés si nécessaire », comment trouver le juste équilibre entre spécialisation hospitalière et accessibilité pour les patients, notamment en zones rurales ?
Dr Arthur Poncelet : A nos yeux ce principe n’est pas forcément incompatible avec une accessibilité aux soins pour tous les patients. Il s’agit de reconnaître que certains soins très spécialisés (chirurgie complexe, soins pédiatriques hautement spécialisés, transplantation, etc.) nécessitent un certain volume d’activité pour garantir une qualité optimale. De plus, la centralisation de ces soins de pointe permet de mobiliser des ressources pour renforcer la médecine de proximité.
En revanche, cette vision ne doit en aucun cas se transformer en une hypercentralisation des soins. Il est essentiel de garder des soins de proximité. Dans les zones rurales, mais aussi dans certaines zones urbaines, cela implique de lutter contre la pénurie de médecins généralistes, de renforcer la première ligne mais également de lutter contre la pénurie qui frappe toute une série de spécialités (dermatologie, ophtalmologie, ORL, etc.). Ces pénuries entraînent une explosion des délais pour obtenir une consultation, ce qui conduit à un non-recours aux soins et, de fait, à une diminution de l’accessibilité globale aux soins.
Répartition des missions hospitalières
Quels services spécialisés devraient selon vous être concentrés dans des centres de référence, et lesquels doivent absolument rester accessibles dans les hôpitaux généraux ?
Les maladies rares, certaines chirurgies oncologiques hautement complexes, les transplantations d’organe solide et de cellules souches hématopoïétiques, certaines immunothérapies, nécessitent d’être prises en charge par des centres de référence (centre tertiaire). Les hôpitaux généraux doivent, pour leur part, être capables de prendre en charge des pathologies fréquentes mais qui demandent une prise en charge spécialisée : infarctus du myocarde (coronarographie), accidents vasculaires cérébraux, soins intensifs, suivi d’insuffisance cardiaque, prise en charge gériatrique, etc. (centre secondaire).
Il est également indispensable de favoriser la communication entre ces différents niveaux de prise en charge mais aussi avec la première ligne afin d’assurer un parcours de soins fluide, cohérent et centré sur le patient.
La norme actuelle de croissance du budget des soins de santé (+/- 2-2,5 %) est inférieure aux estimations des besoins réels (3-3,5 %). Est-elle suffisante pour maintenir la qualité et la sécurité des soins spécialisés ?
Probablement pas. La situation est actuellement très tendue : les hôpitaux sont sous-financés, les équipes médicales et paramédicales sont sous pression, et de nombreux investissements sont nécessaires dans des domaines clés tels que la santé digitale, la cybersécurité, la décarbonation des soins, la lutte contre la résistance aux antibiotiques, etc.) (…)
« Il ne s’agit pas simplement de réduire les budgets à l’aveugle, mais de repenser l’organisation des soins pour gagner en efficacité sans compromettre la qualité. »
Si la norme de croissance reste limitée, quels secteurs de la médecine spécialisée seraient les plus menacés (oncologie, soins intensifs, chirurgie lourde) et quels choix budgétaires devraient être faits en priorité ?
A mes yeux, il faut, dans ces cas-là être créatif plutôt que raboter de manière linéaire. Il ne s’agit pas simplement de réduire les budgets à l’aveugle, mais de repenser l’organisation des soins pour gagner en efficacité sans compromettre la qualité. Cela signifie aussi de lutter contre toutes les formes de gaspillage : répétition inutile d’examens, procédures administratives redondantes, recours à des technologies médicales coûteuses sans réelle valeur ajoutée. Il convient également de revoir les actes de nomenclature devenus obsolètes, de favoriser la digitalisation des dossiers médicaux et la communication entre les différentes lignes de soins pour éviter les doublons et de limiter le « shopping médical ».
Il est également primordial de favoriser le temps consacré à l’anamnèse et à l’examen clinique, afin de promouvoir une médecine centrée sur le patient plutôt que sur les actes. Une évaluation gériatrique bien menée permet par exemple, d’éviter la surconsommation d’examens inutiles. Au-delà de la norme, il est également important de répartir les enveloppes de manière équitable et juste entre tous les acteurs de la santé. Nous luttons depuis notre création pour un meilleur équilibre entre les rémunérations des différentes spécialités (…)
Comment concilier la défense d’un revenu équitable pour les spécialistes hospitaliers avec la nécessité de protéger les patients contre une facture trop lourde et les risques de renoncement aux soins ?
Il est possible d’assurer des revenus attractifs pour les spécialistes hospitaliers sans augmenter la facture des patients. Il faut pour cela une meilleure équité entre les rémunérations des différentes spécialités et une convention attractive. Par ailleurs, il faut pour les spécialistes hospitaliers une amélioration de leurs conditions de travail et, plus spécifiquement, une diminution de la charge administrative, une amélioration du cadre paramédical, une valorisation du temps passé au chevet du patient et de la multidisciplinarité.
Un autre point clé concernant les suppléments d’honoraires et est qu’ils permettent aujourd’hui de pallier toute une série de sous-financements chroniques et notamment celui des hôpitaux. C’est pourquoi nous avons plaidé pour que la réforme des suppléments et de la convention se fasse en parallèle de celle de la nomenclature et du financement hospitalier.
Sous-financement structurel des hôpitaux
Quels mécanismes concrets recommanderiez-vous pour éviter le sous-financement structurel des hôpitaux spécialisés, qui se traduit par des infrastructures vétustes et une pression croissante sur les équipes ?
Les hôpitaux font face à de nombreux défis financiers, notamment les rattrapages du BMF et les retards qui y sont associés, ainsi que la nécessité d’investir massivement dans la cybersécurité et les infrastructures informatiques. Ces enjeux devront toutefois être repensés en profondeur dans le cadre de la future réforme du financement hospitalier, laquelle prévoit un modèle forfaitaire prospectif par pathologies basé sur les APR-DRG.
Un autre point est que l’organisation au sein des bassins de soins reste perfectible. La constitution des réseaux est encore incomplète et nécessite l’instauration d’une véritable collaboration entre leurs acteurs.